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obsèques de la grande artiste les bannières de la ville, avec leurs massiers, et que la corporation des marchands suivit le convoi avec des torches. Le mari de cette femme célèbre, Francesco Andreini, fit graver sur sa tombe une épitaphe qu’on peut lire dans Mazuchelli, et qui existe peut-être toujours à Lyon, où on la voyait encore à la fin du dernier siècle. Cette épitaphe se terminait ainsi : « … Religiosa, pia, musis amica et artis scenicae caput, hic resurrectionem exspectat. » - D’où il résulte, comme le remarque Bayle, qu’en 1604 non-seulement les magistrats de Lyon accordèrent des honneurs funèbres et une tombe en terre sainte à une actrice, mais qu’on « n’hésita pas à mettre tout joignant sa profession de comédienne l’espérance de la résurrection. » J’ajouterai qu’on frappa, à l’effigie d’Isabella Andreini, une belle médaille, avec son nom suivi des deux lettres C. G., qui signifie comica Gelosa (comédienne de la troupe des Gelosi), et avant au revers une renommée avec ces mots oeterna fama. Le cabinet des médailles de la Bibliothèque royale possède deux exemplaires à fleur de coin de cette pièce, l’un d’argent et l’autre de cuivre[1]. Ce médaillon confirme les nombreux éloges adressés à la beauté d’Isabelle : son profil est à la fois correct et expressif, et ; en la voyant dans ses gracieux atours florentins, on croit presque avoir sous les yeux un portrait de Mlle Rachel dans le costume de Marie Stuart. Cette femme illustre, la gloire des Gelosi, fut, très jeune encore, couronnée, puis proclamée membre de l’académie des Intinti de Pavie, où elle prit le nom académique d’Accesa. Elle avait mérité toutes ces distinctions non-seulement par la richesse d’imagination qu’elle déployait dans la comedia dell’ arte, c’est-à-dire dans la comédie improvisée, mais par plusieurs productions imprimées, tant en vers qu’en prose. Pendant ses divers séjours à Paris, dont le dernier eut lieu en 1603, elle s’était acquis l’admiration de la cour et de la ville, et jouissait d’une faveur toute particulière auprès de Marie de Médicis et d’Henri IV.

Conçoit-on que cette brillante période de la comédie italienne n’ait fourni aux historiens spéciaux du théâtre italien en France qu’une ou deux pages, tout-à-fait vides de documens et d’intérêt ? Nous connaissons, en effet, assez bien ce qui concerne les comédiens que le cardinal Mazarin manda d’Italie en 1645, leur établissement stable en 1660, et la brusque fermeture de leur théâtre en 1695 ; nous connaissons mieux encore l’histoire de la nouvelle comédie italienne, rétablie en 1716 par le régent, et nous pouvons suivre à peu près toutes les vicissitudes de son existence jusqu’à la fin du dernier siècle : sur ces deux périodes,

  1. Il existe un portrait gravé sur bois dans le recueil de ses Rime (Milan, 1601, in-4o), lequel est loin d’être aussi satisfaisant. Raphaël Sadeler, en 1602, en a gravé un autre d’une expression et d’une touche beaucoup plus fines.