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beaucoup moins à leur patrie, où la comédie ne fut jamais expressément condamnée, qu’aux nations étrangères, la France, l’Allemagne et l’Angleterre, chez lesquelles, surtout depuis les progrès de la réforme, on commençait à élever de grandes objections contre le théâtre. En Italie, au contraire, où la renaissance théâtrale s’était opérée sous le patronage, des cardinaux et des papes, où beaucoup de doctes académies s’étaient fondées uniquement dans le dessein de composer et de représenter des pièces de théâtre, où non-seulement la comédie savante, mais la comédie impromptu (la comedia dell’ arte) était une passion, que satisfaisaient sans esclandre des gens de tous les états, témoin le peintre Salvator Rosa, qui, sous le masque de Coviello, se fit applaudir de toute la ville de Rome dans sa piquante création du personnage de Formica ; en Italie, dis-je, les théologiens les plus sévères ne condamnaient point le théâtre en lui-même, mais seulement dans ses écarts. Et nous ne trouvons pas seulement cette tolérance à Rome, nous la trouvons à Venise, à Florence, à Milan même, du temps de saint Charles Borromée. Des récits contemporains nous apprennent que le gouverneur de cette ville, avant appelé en 1583 Adriano Valerini avec la troupe qu’il dirigeait, fit suspendre leurs représentations, ému par de soudains scrupules de conscience. Le pauvre directeur réclama, et le gouverneur embarrassé s’en remit à la décision de l’archevêque. Le bon prélat donna audience aux comédiens, discuta leurs raisons, et, finalement, les autorisa à continuer leurs jeux dans son diocèse, à la condition de déposer entre ses mains le canevas des pièces qu’ils voudraient représenter. Il chargea de l’examen le prévôt de Saint-Barnaba, et, quand il ne s’y trouvait rien de répréhensible, le saint archevêque donnait son approbation, et signait les canevas de sa main. Louis Riccoboni raconte que dans sa jeunesse il avait connu une vieille actrice, nommée Livinia, qui avait trouvé dans l’héritage de son père, comédien comme elle, un assez grand nombre de ces précieux canevas revêtus de la signature de Charles Borromée.

En France même, à cette époque, la doctrine sévère qui devait, soixante ans plus tard, faire refuser une sépulture chrétienne à Molière, commençait seulement à se produire. Il est à la fois curieux et triste de comparer ce qui se passa à Paris dans la nuit du 18 février 1673 avec les honneurs publics qui furent rendus à Lyon, le 10 juin 1604, à la mère de notre auteur, la belle et illustre comédienne Isabella Andreini, morte dans cette ville au milieu de ses succès. Pierre Mathieu n’a pas dédaigné de mentionner cet événement dans son histoire[1]. Niccolo Barbieri (Beltrame), qui faisait alors partie de la même troupe, nous apprend que les échevins de Lyon envoyèrent aux

  1. Histoire de France sous le règne de Henry III. Paris, 1609 ; in-8o, t. II, p. 446.