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n’était pas particulière à notre auteur ; tous les comédiens d’Italie la partageaient. En 1614, Pietro Maria Cecchini, acteur de la troupe des Accesi, connu au théâtre sous le nom de Frittellino, avait publié à Vicence et dédié au marquis Clemente Sanezio un petit traité sous le titre de : « Discorso intorno alle comedie, comedianti e spettatori[1]. » Un autre acteur du même temps, Niccolo Barbieri, si célèbre en France et en Italie sous le nom de Beltrame, plaida aussi très vivement la cause du théâtre dans un écrit ingénieux, la Supplica, discorso familiare intorno alle comedie, dans lequel, au milieu de beaucoup de curieuses anecdotes relatives aux comédiens de son temps, il développe la même pensée et jusqu’aux mêmes argumens que J.-B. Andreini. Dans le chapitre X, intitulé « qu’il ne faut pas se risquer inconsidérément à mal parler des comédiens, attendu qu’il y a souvent parmi eux de très galans hommes et, qui mieux est, quelquefois des saints, » après les exemples de saint Genest, de saint Ardélion, de saint Sylvain, de saint Giovanni Buono, il nous raconte la mort exemplaire d’un de ses camarades qui portait au théâtre le nom formidable de Capitano Rinoceronte, et dans le lit duquel on trouva, quand il mourut[2], un très rude cilice, « ce qui causa, dit Beltrame, quelque surprise, car nous n’ignorions pas qu’il était pieux et buon devoto, mais nous ne savions rien de ce cilice. » Beltrame ne peut s’empêcher de remarquer le contraste étrange qu’il y a entre ce cilice et la comédie, entre les macérations de la pénitence et les lazzi de la parade ; mais il ne s’aperçoit pas le moins du monde que le même contraste se retrouve en lui-même, et que ce mélange de dévotion et de mœurs plus ou moins libres est le génie même des populations méridionales. Ces braves comédiens, qui réclamaient avec tant d’énergie et de conviction contre le blâme ecclésiastique et recommandaient si chaleureusement la comédie honnête, ne se faisaient faute ni scrupule de représenter chaque soir les scènes les moins décentes. Louis Riccoboni, dont le jugement à cet égard n’est pas suspect, reconnaît que beaucoup des canevas de Flaminio Scala et nombre de pièces de J.-B. Andreini lui-même sont entachés d’une extrême obscénité. Mais, bons catholiques comme ils étaient, ces honnêtes comédiens ne pouvaient consentir à se voir confondre avec les idolâtres, les hérétiques et les juifs, eux qui avaient si pleinement conscience de n’être rien de tout cela, d’être simplement de joyeux compères, pleins de bonne humeur et d’entrain, redemandant qu’à tirer innocemment parti de leurs heureuses qualités. D’ailleurs, ces artistes cosmopolites adressaient leurs apologies du théâtre

  1. On cite une autre édition de 1616, dédiée au cardinal de Borghèse.
  2. Ce comédien mourut à Paris, à la fin de 1624 sans doute, avant la publication du Teatro celeste, car J : B. Andreini n’aurait pas manqué de l’ajouter à sa légende théâtrale, et de lui consacrer un sonnet.