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nouvelle qui joignît tous les peuples allemands ; fonder cette nouvelle chevalerie de l’ordre du Cygne pour soulager les maux du prolétariat : quels plus nobles rêves ! et personne ne s’est voulu fier à cette philanthropie romanesque ; ce don-quichotisme germanique n’a ni séduit ni amusé personne. Le siècle est dur aux poètes !

L’un des traits de la pensée publique qui m’aient peut-être le plus frappé dans Berlin, c’est le culte qu’on y rend partout à la mémoire du roi défunt, Frédéric-Guillaume III. Celui-là, pour sûr, ne se piquait point de poésie, et il voyait les choses tout-à-fait terre à terre ; mais, au milieu même des contradictions de sa vie politique, il avait un sens si droit, un amour si scrupuleux de l’équité, il était si vraiment et si simplement honnête homme, que des qualités plus brillantes ne lui auraient pas concilié de plus profonds attachemens. Timide, irrésolu par nature, défiant et embarrassé vis-à-vis de son peuple qui lui demandait une émancipation, comme il l’avait été jadis vis-à-vis du grand capitaine qui lui offrait son amitié, Frédéric-Guillaume III frustra, l’on doit le dire, les légitimes espérances de la Prusse, et retarda d’un quart de siècle l’inévitable transformation de sa monarchie. Il était pourtant de si bonne foi dans ses anxiétés, il avait été d’ailleurs éprouvé par tant d’orages, que l’opinion populaire pardonnait unanimement à sa vieillesse d’en appréhender d’autres ; puis il ne bravait pas cette opinion qu’il ne pouvait, qu’il n’osait écouter. Il était prince absolu de fait ; il ne s’agitait pas pour expliquer comment il l’était aussi de droit et de droit divin. Esprit pratique et positif, il tenait moins à découvrir, à prêcher la théorie, qu’à posséder la jouissance du pouvoir, moins à le scruter dans ses origines abstraites, qu’à l’exercer dans sa réalité ; esprit clair, il n’alambiquait sur rien. On raconte même qu’il avait peu de goût pour commercer avec des génies trop relevés ; il se plaisait aux bonnes gens qui le laissaient à l’aise, et l’on eût dit qu’il évitait toujours les hauteurs par crainte du vertige.

Tel n’est pas Frédéric-Guillaume IV, et dans cette vive nature, dans cette ardente imagination, que j’ai tâché de dépeindre, il y a bien moins de la froide et modeste raison de son père que de la sensibilité passionnée qui caractérisait la belle reine Louise. Il ne fuit pas, il aime, il recherche les problèmes, comme celle-ci aimait et recherchait tous les dangers. La sécheresse du vieil absolutisme prussien ne suffisait pas à l’ampleur de ses idées, mais ce fut en 1840 une grande illusion du public, une illusion gratuite, d’avoir pu croire qu’il voulût alors élargir ce dur régime pour en tirer la liberté moderne ; il voulait seulement l’asseoir sur des bases plus pompeuses et plus savantes. Il n’a jamais rien conçu d’autre, et si l’on s’y est trompé, c’est qu’on lui a spontanément prêté la pensée de tout le monde, quand il vivait au contraire seul avec la sienne. Il entendait justifier solennellement la royauté