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Sous la domination allemande comme au temps de l’indépendance, les Magyares, arrivés sur le sol hongrois en conquérans, avaient conservé sur les Slovaques, les Croates et les Valaques, une suprématie à la fois politique et morale. L’aristocratie magyare, maîtresse de l’administration supérieure et du pouvoir législatif tant qu’il fut respecté, avait aussi plus d’ambition et plus de moyens d’agir que la noblesse croate et que le petit nombre des grandes maisons reconnues pour slovaques ou roumaines. C’est ce qui explique comment l’initiative des agitations nationales en face du germanisme a dû venir de la race magyare et comment, au lieu d’être slovaque, ou valaque, ou même croate, le mouvement politique de la Hongrie a commencé par être exclusivement magyare.

Le magyarisme naquit, nous l’avons dit, dans la réaction universelle provoquée par le germanisme violent de Joseph II. Par malheur, l’idée était encore bien obscure, et les hommes manquaient à l’idée. La Hongrie retrouvait ses institutions nationales ; mais les traditions politiques et parlementaires étaient à peu près perdues. Enfin, l’opinion, si exaltée qu’elle fût, n’avait pas d’autres armes que ses passions ; car elle n’avait point encore appris à se servir de l’idiome magyare oublié dans les villes, et elle ne possédait aucun de ces instrumens de propagande qu’une littérature nationale pouvait seule lui offrir. L’avenir de la nationalité et celui de la constitution restaient donc à la merci des événemens ; tout était précaire dans le nouvel ordre de choses, et, sous le prétexte de quelques troubles survenus dans les comitats, l’Autriche put, après la mort de l’empereur Joseph, retirer les concessions qu’elle avait faites. Au premier élan du magyarisme succéda ainsi une halte forcée, mais ce temps de repos ne fut point stérile. Une génération nouvelle, élevée dans la langue magyare, se préparait dans l’ombre à une lutte sérieuse, à la fois constitutionnelle et nationale. Par la puissance de l’opinion qu’ils surent tout d’abord créer, les jeunes Magyares réussirent à intimider l’Autriche, et cette constitution, deux fois brisée en si peu de temps, leur fut pour la seconde fois rendue. Ils montrèrent, dès 1825, à l’empire étonné qu’ils sauraient en tirer parti.

Ce n’était point l’indépendance qu’ils affectaient de rechercher. Lorsque Napoléon la leur avait offerte, sans doute avec peu de désintéressement, ils avaient repoussé par crainte de quelque arrière-pensée cette séduisante image[1]. Leurs sentimens à cet égard demeuraient enveloppés de mystère. Ils voulaient ostensiblement, sans rompre avec la maison de Lorraine, obtenir dans sa plénitude constitutionnelle le droit de se donner des lois et le droit de vivre d’une vie à eux propre, nationale, comme race distincte de la race gouvernante en Autriche. En un mot, ils voulaient être une nationalité libre sous une royauté limitée, sous la couronne de saint Étienne portée actuellement par l’empereur d’Allemagne. Ils avaient donc à s’assurer à la fois contre les caprices du pouvoir absolu et contre la prépondérance de la civilisation germanique, contre un prince habitué à l’exercice de la souveraineté illimitée sur ses autres sujets, et contre un peuple de conquérans à peu de frais, dont c’était l’occupation et le

  1. Les Magyares ne négligent jamais l’occasion de faire sonner très haut ce trait de fidélité à la maison d’Autriche ; un pareil souvenir, ainsi rappelé, a toute l’apparence d’un reproche.