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petite noblesse lettrée qui suit les professions libérales, et les magnats progressistes qui trouvent de l’attrait au métier d’écrivains et d’agitateurs populaires. Qu’on entre à Bude ou à Pesth, dans ces vastes cités des bords du Danube qui sont le vrai centre de la Hongrie et qui appellent chaque année aux plaisirs bruyans et aux grandes manifestations politiques l’élite de la société magyare là on ne verra point la noblesse s’isoler dans son orgueil de race comme les paysans ou les vieux seigneurs féodaux. Elle ne dédaigne point d’abaisser ses regards sur les pays de l’Occident qui ont quelque expérience de la liberté. Un certain nombre de jeunes Magyares, placés au-dessus des préjugés nationaux, viennent même demander à notre histoire le complément de leurs études politiques. Pourtant, il faut en faire l’aveu, la plupart sont entraînés d’instinct vers d’autres sources, où ils peuvent en effet puiser des enseignemens mieux appropriés au tempérament national. C’est à l’Angleterre qu’ils s’adressent. Les institutions parlementaires, la division des deux pays en comtés, la ressemblance de la chambre des magnats avec celle des lords, de la chambre élective avec celle des communes, tous ces rapports de deux sociétés issues de la même civilisation attirent naturellement les Magyares vers l’Angleterre. Je n’affirmerais pas que les plus éclairés même parmi ceux qui se livrent à ce sentiment ne soient point persuadés de la supériorité de leur race sur la race anglo-saxonne. Ils admirent toutefois d’autant plus la société anglaise qu’elle leur ressemble davantage ; ils suivent ardemment sa politique, qu’ils vont chercher chaque matin dans ses journaux ; puis ils écrivent des ouvrages savans où ils comparent ses institutions aux leurs, non sans montrer combien les formes politiques de la Hongrie sont plus simples, plus voisines de la tradition que celles de l’Angleterre. En Hongrie, par exemple, le bien se mêle au mal : Sunt bona mixta matis ; mais en Angleterre, à côté de très grands biens il y a de très grands maux : Sunt magna bona mixta magnis matis[1]. La vie parlementaire chez les Magyares prend d’ailleurs instinctivement ou de propos délibéré les habitudes et les allures de la vie anglaise. C’est ainsi que les casinos ont la prétention d’être des clubs. Les orateurs célèbres reçoivent des banquets politiques de leurs partisans et tiennent, dans les grandes occasions, des meetings solennels. Quelquefois aussi ils sont l’objet de fêtes de nuit auxquelles prend part la jeunesse studieuse armée de torches flamboyantes, et alors ils haranguent la multitude du haut de leurs balcons ou des hustings. Plusieurs d’entre eux ont obtenu le nom d’O’Connell de la Hongrie. Enfin, lorsque les Magyares veulent se faire comprendre promptement de quelque voyageur qui les ignore, ils n’hésitent point à dire qu’ils sont les Anglais de l’Orient. Il est certain qu’il existe plus d’un rapport entre le libéralisme de la noblesse magyare et celui de l’aristocratie britannique. L’une se pique comme l’autre de rester à la tête de tout mouvement d’opinion après en avoir pris l’initiative, et l’une aime ainsi que l’autre à se dire prête à sacrifier de ses privilèges tout ce que les circonstances et le progrès des esprits exigent d’elle. La portion libérale de la noblesse magyare ne compte point seulement dans ses rangs de jeunes gentilshommes qui, privés de fortune et d’influence,

  1. C’est la conclusion d’un écrit allemand intitulé : England und Ungern, eine parallele (l’Angleterre et la Hongrie, parallèle). Cette brochure est signée d’un nom slave, Jean Czaplowicz ; mais je soupçonne fort l’auteur d’être magyarisé plus qu’à demi.