Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1069

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pour le pauvre Remigio Vasquez ? lui dis-je.

— Non, pour moi, qui n’ai plus à craindre sa dénonciation, reprit-il avec la franchise de l’ivresse ; mais, si cela change mes intentions à son égard, l’affaire de Remigio Vasquez n’en est guère meilleure, c’est-à-dire… (et avalant ce qui restait dans son verre, il sembla chercher à recueillir ses idées) c’est-à-dire qu’elle est excellente… pour… pour…

— Pour qui ? m’écriai je impatienté.

— Ah ! caramba, pour notre ami intime, le respectable don Tomas Verdugo, comme votre seigneurie l’appelait hier.

Et le mineur ne tarda pas à me révéler que le bravo devait recevoir une somme assez considérable pour venger, à ce qu’on lui avait dit, sur la personne de don Jaime, l’honneur d’une famille outragée.

— Et où est don Tomas ? dis-je à Florencio. Je suis sûr de le détromper, comme je viens de vous détromper vous-même.

— Je crois savoir où est à présent celui que vous cherchez, reprit Planillas.

— Eh bien ! qu’attendez-vous ? Mettons-nous immédiatement en quête de lui.

— Hélas ! je brûle d’être loin d’ici, mais je ne puis m’en aller sans payer mon écot, car je vous confesse que je n’ai pas un tlaco dans ma poche.

— Qu’à cela ne tienne, appelez le cabaretier.

— Au fait, répliqua effrontément Florencio, hier soir je vous ai donné l’hospitalité, vous payez ma dépense aujourd’hui, nous sommes quittes.

Le cabaretier se présenta aussitôt, et je lui demandai combien lui devait Florencio ; sur un signe de ce dernier que je surpris, le cabaretier demanda deux piastres. C’était un prix exorbitant, et le buveur dut gagner plus d’une piastre et demie sur ce marché, mais le temps était précieux, et je me laissai rançonner ; j’avais hâte de me mettre à la poursuite de don Tomas. Malheureusement les jambes chancelantes de mon guide secondaient mal mon impatience, et j’étais obligé de ne marcher que fort lentement. Ce fut ainsi que je parcourus une partie de la ville, tandis que l’ivrogne croyait à chaque porte reconnaître celle de la maison où devait se trouver don Tomas, et chaque fois était forcé d’avouer sa méprise. Nous arrivâmes enfin devant une allée sombre et humide au bout de laquelle on apercevait le jour douteux qui sortait d’un jardin.

— Êtes-vous sûr que vous ne vous trompez pas encore cette fois ? demandai-je avec anxiété à Florencio, car le temps presse, et le pauvre Vasquez court risque de la vie.

— C’est ici certainement, balbutia mon compagnon, et je n’arriverai pas trop tard, car, ajouta-t-il les yeux baignés des larmes de l’ivresse,