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de lui qu’une quarantaine de cavaliers avaient débridé à l’hacienda dans l’après-midi, et, à défaut d’autre renseignement, je dus me contenter d’une invitation courtoise d’aller visiter moi-même les écuries. J’aurais dû commencer par là sans attendre cet avis, et, comme il faisait encore jour, je me dirigeai vers les cours. Un grand nombre de chevaux broyaient dans les auges de bois leur provende de maïs avec un ensemble et une ardeur qui témoignaient de longues traites fournies dans la journée, et je fis un bond de joie en distinguant parmi eux et côte à côte, comme deux fidèles compagnons de route, un cheval gris de fer et un autre fleur de pêcher. C’était un commencement de réussite ; malheureusement il me restait, pour compléter ma découverte, à interroger une soixantaine de voyageurs, car il y avait dans les écuries un nombre à peu près égal de chevaux. L’entreprise, à vrai dire, était presque impraticable, dangereuse peut-être d’un côté, et certainement ridicule de l’autre.

Comme je regagnais la cour d’entrée pour chercher, tout en prenant un moment de repos dans ma chambre, le moyen d’atteindre le but que je poursuivais, un coche attelé de huit mules, chargé de matelas soigneusement sanglés dans leur enveloppe de cuir et escorté par trois cavaliers armés de sabres et de mousquetons, entra bruyamment dans la cour de l’hacienda. C’est toujours un événement que l’arrivée d’une voiture dans les auberges du Mexique ; elle indique des voyageurs de distinction, ou mieux encore la présence de quelques femmes auxquelles, pour peu qu’elles soient jeunes, la solitude et l’excitation du voyage ne manquent pas de prêter mille séductions. Pendant que les deux cochers qui conduisaient l’attelage et les trois cavaliers interpellaient le huesped à grands cris et que la cour se remplissait de figures curieuses, un des cavaliers mit pied à terre et vint respectueusement ouvrir la portière du coche. Un homme d’un certain âge en descendit le premier ; un autre plus jeune le suivit, et avant qu’on eût le temps de lui offrir la main, une jeune femme s’élança derrière eux ; elle portait le costume adopté par quelques riches rancheras en voyage, costume qui leur permet de voyager également à cheval ou en voiture. Elle tenait à la main un chapeau d’homme à larges bords, et sa manga, richement rehaussée de velours et de galons d’argent, ne cachait entièrement ni une taille souple et fine, ni des bras nus et dorés par le hâle. Sa tête découverte laissait voir un magnifique diadème de cheveux noirs, et ses yeux, non moins noirs et non moins brillans, promenaient autour d’elle le regard hardi particulier aux Mexicaines. Ce regard semblait évidemment chercher quelqu’un au milieu de la foule des curieux ; à l’aspect des figures inconnues qui peuplaient la cour de l’hacienda, il s’éteignit aussitôt sous le voile des paupières.

Cependant la nuit allait venir, la jeune femme s’était retirée dans