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ce que la pelle et la pioche pourraient facilement, dans un pays où la main-d’œuvre est pour rien, rendre à la clarté du jour et livrer à la curiosité savante de l’Europe. Ce qui donnera peut-être une idée de l’étendue de la plate-forme couvrant la partie encore inexplorée de Médinet-Habou, c’est qu’un village a été bâti sur cette plate-forme ; il est maintenant abandonné, et les huttes de terre des Arabes sont devenues à leur tour des ruines ; ces ruines misérables déshonorent les grandes ruines qui les portent.


24 janvier.

Nous avons vu les cinq monumens principaux de Thèbes, dont chacun renferme plusieurs monumens : sur la rive droite du Nil, Karnac et Louksor ; sur la rive gauche, Gournah, le Ramesséum et Médinet-Habou. Ces cinq édifices ont servi de demeures aux vivans. Aujourd’hui, nous irons faire visite aux morts. Nous visiterons la nécropole, cette ville des tombeaux qui, placée à côté de Thèbes pour recueillir les cadavres de ses habitans, a dû être bientôt plus peuplée qu’elle, car la nécropole recevait toujours sans rien rendre et sans rien perdre. Assurer la perpétuité du corps, symbole peut-être de l’immortalité de l’ame, c’était, on le sait, le grand but des Égyptiens. Pour les corps qu’ils voulaient défendre de la destruction, il fallait créer des demeures impérissables. C’était chez eux, comme l’a dit Mme de Staël, « un besoin de l’ame de lutter contre la mort, en préparant sur cette terre un asile presque éternel à leurs cendres[1]. »

Les premiers rois avaient imaginé les pyramides ; mais les pyramides elles-mêmes peuvent être détruites par la main de l’homme. Naguère l’une d’elles a failli succomber sous les instrumens de la civilisation mis au service de la barbarie. Il était plus sûr encore d’abriter ses restes dans le sein de ces pyramides naturelles qui dominent la plaine de Thèbes, de ces montagnes calcaires qui, entièrement dépourvues de végétation, ne recevant jamais l’eau du ciel, n’étant traversées par aucune source, offrent toutes les garanties possibles de permanence et d’indestructibilité. Aussi, c’est là que sujets et monarques ont voulu reposer dans des grottes souterraines qui souvent sont des habitations spacieuses. La montagne qui regarde Thèbes, du côté de l’ouest, est criblée de tombeaux dont les hôtes, comme on le voit par les inscriptions hiéroglyphiques, appartenaient tous aux classes élevées de la société. Où étaient enfouis les morts d’une condition obscure ?

L’asile sépulcral des Pharaons était plus mystérieux, plus séparé du

  1. Le mot cendres est pris ici dans un sens très général et comme dans une acception poétique. Mme de Staël savait parfaitement que les Égyptiens ne brûlaient pas les morts ; mais elle a trouvé leurs cendres plus élégant et plus harmonieux à la fin de la phrase que leurs restes.