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c’est donc une chronologie figurée de la plus haute importance pour l’époque antérieure à la dix-huitième dynastie, c’est-à-dire pour l’époque la moins riche en monumens historiques. Malheureusement cette suite de noms ne forme pas une série continue ; c’est un choix parmi les prédécesseurs de Thoutmosis, et probablement parmi ses ancêtres[1]. Cependant, en comparant la chambre de Karnac avec d’autres séries de noms royaux et surtout avec le précieux papyrus de Turin, qui contient un grand nombre de noms de rois antérieurs à la dix-huitième dynastie, on commence à voir se dessiner les linéamens de cette ancienne histoire.

Si maintenant on laisse à gauche le palais de Karnac et qu’on avance vers le sud, on trouve quatre grands pylônes placés à la suite et à une certaine distance les uns des autres. Le troisième est appelé pylône d’Horus, parce qu’il a été élevé sous le roi de ce nom. Horus appartient à cette dix-huitième dynastie sous laquelle l’art égyptien atteignit à toute la perfection dont il était susceptible. Aussi le pylône qui porte son nom est-il revêtu de bas-reliefs dont on ne saurait se lasser d’admirer la beauté. Ici les descriptions ne peuvent rien, il faut voir.

Ces magnifiques pylônes sont dans ce moment à demi démolis ; on fouille pour chercher du salpêtre dans leurs entrailles. Le pacha comprend beaucoup mieux l’utilité de la poudre que le mérite des antiquités. Passe encore pour le pacha, c’est son métier d’être barbare : en Orient, on peut être civilisateur sans être civilisé ; mais ce qui révolte au-delà de toute expression, c’est d’entendre un homme très civilisé, très éclairé, le docteur Bowring, expliquer froidement comment il faut faire pour se procurer du salpêtre, et donner cette recette : on prend des ruines de vieille ville[2], exactement comme il dirait : pour faire pousser du blé, on prend du fumier. Espérons que le coton-poudre, en fournissant un moyen de se passer de salpêtre, sauvera les édifices de Thèbes, et que le pacha trouvera assez d’avantage à exploiter ainsi son coton pour consentir à épargner ses monumens.

Le cœur me saignait en voyant ces ruines faites de toute pièce pour avoir du salpêtre, selon le procédé de M. Bowring ; mais cette sauvagerie a eu son bon côté, car les matériaux intérieurs des pylônes mis au grand jour ont fait d’intéressantes révélations. En effet, sur ces

  1. D’après les travaux de MM. de Bunsen, Lepsius, Prisse et de Rougé, il semble que la partie gauche contient des noms de rois antérieurs à la douzième dynastie, et que sur la partie droite on lit des noms qui appartiennent aux dynasties intermédiaires entre la douzième et la dix-huitième, aux dynasties légitimes qui régnèrent sur une partie de l’Égypte pendant que les pasteurs occupaient la plus grande portion du pays. Ce chapitre obscur de l’histoire d’Égypte a été surtout éclairé par les recherches très solides et neuves en grande partie de M. de Rougé. Voyez les Annales de philosophie chrétienne. Voyez aussi deux savans mémoires de M. Barucchi.
  2. Bowring report of Egypt and Candia.