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il se plaisait à témoigner les plus grands égards pour son caractère et pour sa personne. Il accorda sans difficulté l’élargissement de l’évêque de Sigüenza, mais en lui intimant l’ordre de quitter le royaume ; en retour il obtint du cardinal la levée de l’excommunication et de l’interdit fulminés à Tolède[1]. D’ailleurs la présence du légat n’arrêta en rien les opérations du siége, il semblait au contraire qu’on les pressât avec plus de vigueur. Le 4 décembre, la tour qui défendait le pont du Duero, ruinée par les engins de l’assaillant, fut emportée après un combat acharné où se distingua don Diego de Padilla, qui, en escaladant la brèche, eut le bras cassé d’une pierre, lancée, dit-on, par son rival Estebañez Carpentero, soi-disant maître de Calatrava[2]. La tour prise, les assiégés commencèrent à perdre courage. Les soldats étrangers enfermés dans la ville étaient mal payés et mal nourris. Les bourgeois, qui leur vendaient chèrement les provisions amassées en abondance, murmuraient tout haut contre l’obstination des seigneurs. Leur cupidité et leur ambition, disaient-ils, prolongeaient une guerre désastreuse et ruinaient le pays. Parmi les chefs des ligueurs, les uns, en petit nombre, insistaient pour prolonger la résistance, d’autres opinaient pour implorer la clémence du roi. Quelques-uns écrivaient secrètement à leurs amis ou à leurs parens dans l’armée royale pour solliciter leur pardon, et promettaient de se rendre aussitôt qu’ils seraient assurés d’une amnistie. Don Pèdre accordait facilement des lettres de grace aux chevaliers et même aux riches-hommes, mais toujours avec cette condition que l’on se mît sur-le-champ à sa merci. De leur côté, les bourgeois de Toro, fatigués du siège et craignant la furie du vainqueur, tâchaient de négocier leur paix particulière à l’insu de la reine et des chefs de la ligue. Un marchand, capitaine de la garde bourgeoise, nommé Garci Triguero, offrit au roi de lui livrer une porte de la ville sous promesse d’amnistie pour lui-même et pour ses concitoyens. La proposition fut acceptée, et l’on n’attendait plus que le moment fixé par Triguero pour l’exécution de son projet.

Bien que ces transactions demeurassent encore cachées à la reine et à don Fadrique, le découragement de la garnison, les murmures des habitans, l’abattement de la plupart des chefs, les remplissaient d’inquiétudes. De vagues rumeurs leur faisaient craindre à chaque instant qu’une trahison ne mît la ville au pouvoir de don Pèdre. L’hiver n’avait pas interrompu les travaux des assiégeans. On était au 24 janvier 1356. Ce jour-là même, Triguero prenait la garde d’une des portes, et avait averti le roi qu’il était prêt à la lui livrer. Le signal était convenu, les ordres donnés pour une surprise nocturne. Quelques heures avant

  1. Ayala, p. 201. – Rainaldi, Ann. Eccl. T. XXV, p. 629.
  2. Ayala, p. 202. – Rades, Cron. De Catal., p. 56.