L’usage était de payer les appointemens des charges de cour et les pensions en mandats sur les receveurs du roi. Or, ceux-ci ne soldaient d’ordinaire qu’une partie de la somme, et, quand les réclamations pour obtenir le surplus n’étaient pas appuyées par la force, elles étaient toujours vaines. Simuel Lévi voulant compter avec les receveurs, commença par les effrayer. Soutenu par son maître, ayant hommes d’armes, geôliers et bourreaux à ses ordres, il exigea l’arriéré, n’admit aucune excuse, et, par ruse ou menaces, parvint à se faire payer intégralement, plus vite qu’on ne l’eût espéré. En même temps il mandait les créanciers du roi et leur offrait la moitié de l’arriéré qui leur était dû, à condition qu’ils donneraient quittance pour le reste. La plupart, qui croyaient à jamais perdus les deniers que les receveurs avaient gardés par devers eux, acceptaient avec joie le parti proposé, se tenant pour fort heureux d’obtenir la moitié de leurs créances[1]. Ce procédé, qu’on qualifierait aujourd’hui de banqueroute frauduleuse, mais dont personne alors ne s’avisait de contester la loyauté, procura dans peu de temps au roi des sommes considérables, et lui donna la plus haute opinion de son trésorier. En outre, Simuel Lévi sut rétablir l’ordre dans l’administration. Il donna les charges de receveurs à des Juifs intelligens, qui lui firent sur-le-champ de fortes avances. En peu de temps les finances de don Pèdre furent remises sur un nouveau pied, et il se vit le plus riche souverain de toute l’Espagne.
Ce ne fut qu’au bout de deux mois et demi passés à Morales que, tous les préparatifs étant enfin terminés, le roi put s’approcher de Toro et commencer le siége. Ce délai ne lui avait pas été inutile. La garnison était sensiblement diminuée, d’abord par la retraite du comte don Henri, puis par des désertions continuelles. En outre, parmi les riches-hommes renfermés dans la place, un assez grand nombre, alarmés des progrès du roi, se montraient disposés à traiter de leur capitulation particulière. Les choses étant en cet état, l’armée royale vint s’établir sur la rive gauche du Duero, en face d’un pont fortifié qui donnait accès dans la ville, et qui du côté de la campagne était défendu par une grosse tour. Des bastides s’élevèrent rapidement pour envelopper cet ouvrage avancé ; balistes, catapultes et bombardes, toutes les machines de guerre en usage à cette époque furent mises en batterie pour le réduire.
La guerre d’escarmouches continuait cependant, non-seulement autour de Toro, mais en Biscaïe et en Estramadure, surtout aux environs de Talavera, commanderie importante de Saint-Jacques, occupée par
- ↑ Ayala, p. 195.