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et sans autre charme que sa faiblesse. Bien qu’elle eût vingt ans accomplis, on l’eût prise pour une enfant sans la fermeté et l’étendue de sa voix, qui l’avait fait connaître dans toutes les paroisses voisines. La pauvre fille passait pour la plus belle chanteuse du Bas-Maine. Occupée à garder les vaches et les chevaux du métayer près de l’étang, sans autre société que son muguet[1], elle s’était fait une compagnie de ses chansons. A quelque heure que l’on traversât le taillis, on était sûr d’entendre sa voix jetant au loin ses notes plaintives. François avait été attiré une première fois parce chant, comme tout le monde ; mais il était revenu, il avait parlé à Suson, et insensiblement la pauvre fille et lui s’étaient attachés l’un à l’autre. Depuis qu’il habitait le bois de Misdon, il venait tous les jours la voir près de l’étang, et ses compagnons le suivaient quelquefois pour entendre chanter les rondes et les noëls de leurs paroisses. Les forgerons de Port-Brillet profitèrent d’une de ces absences ; ils entrèrent dans le taillis, détruisirent la cabane des chouans et emportèrent tout ce qu’elle renfermait, y compris le chaudron destiné à cuire leur nourriture. A leur retour, les royalistes se trouvèrent sans abri et sans ménage. Par bonheur, les ravisseurs avaient laissé des traces de leur passage ; Jean et ses compagnons purent les suivre à la piste jusqu’à la Papillonnière, sur la lande d’Olivet, où ils les attaquèrent en gens qui combattent pro aris et focis, comme eût pu dire le latiniste Godeau. Après une lutte acharnée, ils réussirent à reprendre tout ce qui leur avait été enlevé, et Miélette revint à Misdon, portant le chaudron au bout de sa ferte aussi triomphalement que Jason eût porté la toison d’or.

Ce premier engagement fut le signal des hostilités. Les rencontres se multiplièrent avec des chances diverses. Les haines s’envenimaient ; on commença à fusiller les prisonniers et à égorger les suspects à domicile. Bientôt les patriotes ne purent sortir des villes qu’en compagnie des détachemens républicains, encore ceux-ci étaient-ils souvent surpris et dispersés. Jean n’avait pour cela qu’une méthode, toujours la même, mais infaillible. Il partageait sa troupe en trois bandes qu’il échelonnait dans les fourrés, des deux côtés du chemin ; on laissait les bleus arriver jusqu’à la seconde bande, qui engageait le feu au moment même où la première et la troisième se montraient à l’avant et à l’arrière de la colonne, qui se trouvait ainsi entourée.

  1. Nom donné aux chiens qui gardent les grands bestiaux. Ce nom est fort ancien, car on le trouve dans un vieux noël poitevin.

    Or, nous avions un gros paquet
    De vivres pour faire banquet ;
    Mais le muguet de Jean Huguet
    Et une grande lévrière
    Mirent le pot à découvert, etc,