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guerre de la Vendée. Là une idée avait suffi pour allumer la révolte, aussi prit-elle un développement immense. Dans le Maine, au contraire, où elle fut surtout excitée et entretenue par des intérêts, elle demeura toujours incomplète. C’est que l’idée appartient en commun à tous les hommes et les associe dans un même élan, tandis que l’intérêt varie et les divise.

Cependant les gardes nationales, qui avaient perdu leur drapeau à l’assemblée de Saint-Ouën-des-Toits, se vengeaient par des excursions militaires dans les paroisses soupçonnées de royalisme. Jean Chouan résolut d’essayer contre eux le courage de ses hommes. Il leur donna rendez-vous à Launey-Villiers, et attaqua à l’entrée du Bourgneuf les patriotes, qui furent repoussés après avoir laissé une vingtaine de morts. Désormais le mal était irrémédiable, le sang avait coulé, la guerre civile commençait.

Jean Chouan et ses compagnons, condamnés à mort par contumace sur la dénonciation de Graffin, se réfugièrent dans le bois de Misdon, entre la forge de Port-Brillet et le bourg d’Olivet. Ils étaient environ quarante, parmi lesquels se trouvait Trion, dit Miélette, qui joue dans la guerre des chouans le rôle de Maugis dans le roman des Quatre fils Aymon. Cottereau et lui s’étaient long-temps disputé la royauté de la faux-saulnerie. Si l’on n’eût point connu Jean, Miélette eût été déclaré le plus fort joueur de ferte du Bas-Maine ; si l’on n’eût point connu Miélette, Jean eût passé pour le plus vigoureux contrebandier de toutes les marches. Le nom de celui-ci était pourtant prononcé le premier ; on disait Jean et Miélette, comme on dit Castor et Pollux. Malgré l’égalité de leur gloire villageoise, Jean exerçait plus d’autorité, on le reconnaissait supérieur pour le commandement ; mais, en revanche, Miélette l’emportait pour l’à-propos, la drôlerie et les bonnes histoires. Rien que de le voir mettait de belle humeur ; il boutait en train toute la bande. Un seul chouan restait insensible à sa gaieté communicative c’était Godeau, homme à grandes manières et beau parleur, qui, s’étant trouvé impropre à tous les métiers, en avait conclu que tous étaient au-dessous de son mérite. Il avait été trois mois garde-chasse dans une maison noble, et se croyait depuis un peu gentilhomme. Il prétendait aussi savoir le latin, parce que le curé chez lequel il avait servi comme palefrenier lui avait appris le sens des mots Dominus vobiscum, et il se plaignait continuellement de ce que la dureté des temps le privât des plaisirs de la lecture.

Quant à François, il s’accommodait d’autant mieux de sa retraite, que le bois de Misdon était peu éloigné du hameau de Lorière, où demeurait la pauvre fille. On avait donné ce nom à une orpheline trouvée dans un berceau suspendu aux cordes des cloches d’Olivet, et qu’un métayer de Lorière avait élevée par charité. Suson était petite, frêle, point jolie,