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— Si c’est le roi qui nous commande, reprit le gas mentoux, tout le monde partira pour le roi.

— Oui, tout le monde ! reprirent les paysans, nécessairement disposés à obéir aux ordres de celui qui ne leur en donnait pas.

— Mais personne ne partira pour la nation, ajouta Cottereau.

— Personne ! personne ! s’écria la foule en choeur.

Et, comme les autorités voulaient dresser procès-verbal de la rébellion, les assistans, qui craignaient les traîtrises du papier, déchirèrent les registres, renversèrent les écritoires et brisèrent les tables, dont les pieds leur servirent pour chasser les commissaires et les gendarmes. Jusque-là rien de bien grave. La révolte contre les agens de la sûreté publique est de droit général chez les nations de l’Europe civilisée et ne tire pas à conséquence. En 1792 surtout,

Des gendarmes rossés n’étaient pas un grand crime !


et les choses eussent pu en rester là, si le hasard n’eût mis en présence les partis eux-mêmes.

Les idées révolutionnaires, si mal venues dans les communes rurales du Maine, avaient reçu, au contraire, le meilleur accueil dans les villes et les bourgs. Là le prêtre avait moins d’influence, le noble était un rival, et la maxime de La Fontaine : Votre ennemi, c’est votre maître, avait été prise au sérieux. Les habitans de la Baconnière, d’Andouillé, de la Brulatte, présens à la rébellion, l’avaient désapprouvée et voulurent sauver au moins le drapeau tricolore venu de Laval avec les commissaires. Le juge de paix Graffiti s’en empara ; mais Jean Chouan vint le lui arracher : il y eut une mêlée, des coups furent échangés, et les royalistes victorieux regagnèrent le village avec le drapeau.

Cottereau profita de l’enthousiasme causé par ce premier succès pour décider l’insurrection. Affilié depuis long-temps avec son frère François à tous les complots royalistes, il annonça aux jeunes gens l’arrivée prochaine d’un prince du sang royal qui devait se mettre à la tête de l’insurrection et qui récompenserait chacun selon ses services ; une paie journalière était, dès ce moment, assurée aux gars qui s’enrôleraient contre les bleus. Pour des paysans manceaux, l’argument était sans réplique ; aussi fut-il compris du plus grand nombre, et une première troupe d’insurgés se forma sous le commandement de Jean. Seulement, comme avant d’entreprendre cette nouvelle affaire il fallait mettre ordre à celles que l’on avait au logis, chacun s’en retourna chez soi avec promesse de revenir au premier signal.

Un peu plus tard, un colporteur de village, en apprenant les troubles de Saint-Florent, laissait là le pain qu’il était occupé à pétrir, faisait sonner les cloches et levait une armée sans autre promesse que la liberté des paroisses ! c’était Cathelineau qui commençait la grande