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— Et ce fut ce même faux-saulnier sauvé par lui de la potence qui essaya plus tard de le venger en commençant l’insurrection : royaliste dans l’ouest ?

— Lui-même. Jean Chouan fut le premier en France à prendre un fusil contre la république au cri de vive le roi ! Du reste, le vieux Va-de-bon-cœur pourra vous donner là-dessus tous les détails, car il en était. Justement nous voici arrivés aux Boutières.

Notre char-à-bancs tournait, en effet, une haie de prunelliers qui laissaient entrevoir, à travers leur feuillage, l’aire de la métairie sur laquelle les batteurs déliaient les javelles avec des éclats de rire et des appels joyeux. Notre compagnon se leva debout pour regarder pardessus la verte clôture.

— Dieu me pardonne ! ils préparent la dernière airée, dit-il ; nous arrivons à souhait pour vous qui aimez les vieux usages et les vieilles cérémonies.

— Pourquoi cela ?

— Parce que nous allons assister à la fête de la gerbe.


II.

Nous avons déjà eu occasion de décrire, dans cette Revue même, la joie grave et presque religieuse avec laquelle les populations bretonnes accomplissent les travaux de l’août et récoltent le blé du bon Dieu, comme ils disent dans leur poétique langage. On ne peut douter que cette moisson n’ait, à leurs yeux, un caractère particulier, car aucune autre n’excite chez eux les mêmes transports et ne s’entoure des mêmes rites pieux. Évidemment la tradition druidique leur a confusément appris à y voir le flot fécondant destiné à entretenir le niveau de la vie toujours décroissant dans les êtres ; le blé est pour eux ce qu’était la manne pour les Hébreux : un don venant plus directement du ciel, un éternel miracle visible aux yeux de tous.

Sans avoir conservé chez les paysans du Maine une expression aussi sérieuse, le culte de la moisson y survit encore dans la fête de la gerbe. La joie est la même, seulement elle a perdu son caractère sacré ; la reconnaissance n’a plus d’attendrissemens ; l’esprit manceau y a substitué le calcul. Tous les détails des batteries bretonnes symbolisent l’adoration panthéistique revêtue d’apparences chrétiennes ; la fête de la gerbe ne symbolise que l’enrichissement du maître et le contentement qui naît de l’abondance. Ici, comme toujours, le raisonnement a modifié la poésie. Héritiers de la même tradition sublime, Manceaux et Bretons en ont usé selon leurs caractères ; ceux-ci ont laissé la leur planer dans les nuées en la suivant vaguement du regard, pendant que ceux-là ramenaient à terre le cerf-volant pour utiliser la ficelle et le