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de tant de trouble ; si les trésors d’une complaisance accoutumée envers certains journalistes n’avaient pas trop brusquement tari, les ministres et la majorité auraient été quittes de tout souci, rien n’eût interrompu leur bienheureux repos. L’impatiente ambition des uns, la coupable avidité des autres, voilà d’où viendrait tout le mal. Cette manière de juger sommairement d’une situation et de tout expliquer par des noms propres est fort en vogue ; la paresse des esprits s’en arrange, et leur malignité s’y complaît. Mettre ces embarras sur le compte de la perversité d’autrui, c’est se dispenser de chercher d’autres raisons, ce qui est commode ; c’est aussi se donner le beau rôle. Combien de gens craindraient d’ailleurs de passer pour de pauvres esprits, s’ils ne prêtaient constamment à leurs adversaires les plus mauvaises intentions, s’ils ne savaient habilement rattacher à des combinaisons d’intérêt personnel les moindres déterminations de ceux qui leur sont opposés ! Peut-être pourrait-on faire remarquer à ces profonds politiques qu’avec un peu plus de perspicacité ils auraient pu prévoir à l’avance ce qu’ils se savent si bon gré d’avoir su démêler après coup, qu’avec un degré de plus d’habileté ils auraient pu rendre vains ces fâcheux mobiles, ou, mieux encore, s’en emparer et les tourner à leur profit. Pour nous, nous n’aimons pas à porter de semblables jugemens, non pas seulement parce qu’ils sont tristes, mais parce qu’ils nous semblent essentiellement faux. La nature humaine est moins simple qu’on ne la voudrait faire ; si partout le mal confine au bien, le bien au mal, en politique, plus qu’ailleurs, il est malaisé de faire un départ rigoureux entre les opinions désintéressées et les calculs égoïstes ; en politique, les confusions involontaires sont naturelles, et le mélange est excusable. Quel parti, quels hommes se pourraient dire entièrement purs ? Quelle main oserait jeter la première pierre ? La situation présente est d’ailleurs plus fâcheuse que nouvelle, et n’est inattendue que pour ceux qui n’ont pu étudier le jeu habituel, et l’on pourrait dire fatal, du gouvernement représentatif. Dans ce gouvernement, en effet, toutes les fois que, par suite des élections générales, la proportion établie entre les forces respectives des partis vient à changer brusquement, les conditions de leur existence en sont profondément altérées. Une minorité considérablement réduite, et par cela même éloignée pour long-temps du pouvoir, se comporte autrement qu’une minorité nombreuse qui peut être rappelée, d’un instant à l’autre, à remplacer ceux qu’elle attaque. Une majorité devenue prépondérante ne se conduit pas, après un triomphe incontestable, comme aux temps où il lui fallait, par des combats répétés, assurer son existence de chaque jour.

La petite session de 1846, uniquement employée à la vérification des pouvoirs, était à peine commencée, que déjà la physionomie de la chambre nouvelle apparaissait aux yeux de tous. Il était évident que