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peut-être ce sentiment avait-il excité chez lui une implacable irritation. À la fin du même écrit de la duchesse, qu’elle a intitulé mes impressions, nous trouvons ces mots : « Mon Dieu ! mon Dieu ! soutenez-moi, dirigez-moi ; j’ai peur de l’avenir, des menaces qu’il m’a faites, des difficultés qui s’élèveront tous les jours… » On ne peut lire ces papiers, ces confidences, que la plus effroyable fatalité a pu seule amener à la lumière, sans une déchirante émotion. C’est la réalité avec son éloquence poignante, inimitable : il y a là un accent de vérité que ne saurait atteindre la fantaisie la plus industrieuse. En parlant de cet homme que rien de généreux et d’enthousiaste ne pouvait émouvoir, et qui n’avait pas une pensée soit pour son pays, soit pour sa famille, Mme la duchesse de Praslin, sans y songer, caractérisait d’une manière piquante et sévère cet égoïsme apathique qu’on ne remarque que trop souvent dans les classes les plus opulentes de la société. Jamais cependant les hommes que distingue une haute naissance ou une grande fortune n’ont été plus mis en demeure par l’opinion de se montrer dignes de ces faveurs du sort. Il ne faut pas confondre cette exigence sévère de la société avec le sentiment vil et condamnable de l’envie. Autrefois l’aristocratie brillait sur les champs de bataille et à la cour ; elle avait deux grandes occupations : la galanterie et la guerre. Parce qu’elle ne peut plus mener le même genre de vie, doit-elle languir dans une oisiveté obscure et souvent funeste ? La politique, l’industrie, le culte et la protection des arts et des lettres, n’offrent-ils pas aux ambitions les plus difficiles un noble et solide aliment ? Que personne ne l’oublie, ce qui se pardonne le moins dans ce siècle affairé et positif, c’est d’être inutile.


— RECHERCHES SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE QUELQUES PEINTRES PROVINCIAUX DE L’ANCIENNE FRANCE, par M. Ph. de Pointel[1]. — Entre les différentes écoles de peinture qui se partageaient la France au temps où la centralisation du gouvernement n’avait pas encore amené la centralisation des arts et des études, M. de Pointel a choisi l’école provençale, qui, parmi un grand nombre de noms estimables et ignorés, se glorifie de compter les Mignard, les Vanloo, les Vernet. La Provence, sœur de l’Italie, fut pendant deux siècles, pour la peinture, une seconde patrie. Ses artistes empruntèrent à la nature semi-italienne au milieu de laquelle ils vivaient un coloris délicat et une grace qui, en se combinant à la verve septentrionale des Watteau et des Jouvenet, formèrent la manière tant critiquée et pourtant si élégante du XVIIIe siècle. Nous louons M. de Pointel de ne s’être pas borné à enregistrer avec exactitude la série des ouvrages enfantés durant cette période. En étudiant le développement de l’art en Provence, les modifications auxquelles il fut soumis d’abord par l’influence des Italiens, plus tard par celle de Paris, et le rôle qui lui revient dans la fusion des styles au XVIIIe siècle, l’auteur fait preuve d’une critique ingénieuse qui répand un agrément de plus sur cette excursion dans une voie assez peu explorée de l’érudition.



V. de Mars.
  1. Un volume in-8e, chez Dumoulin, 13, quai des Augustins.