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proportions : ce n’est plus guère qu’une pointillerie d’étiquette. Il est plus que temps d’en finir.

C’est à tort qu’on avait voulu faire un événement diplomatique de la note remise en Suisse à M. Ochsenbein par le représentant de l’Angleterre, M. Peel. Dans cette note, il n’y a pas autre chose que des politesses pour M. Ochsenbein et des vœux pour le bonheur et la liberté de la Suisse, qui doit, par le maintien de l’ordre, ôter tout prétexte à une intervention étrangère Si la diplomatie de lord Palmerston tenait toujours le même langage, nous n’aurions jamais pour elle que des éloges. Plus encore que le gouvernement anglais, la France, en sa qualité de puissance limitrophe, considérerait comme chose très fâcheuse la nécessité d’une intervention en Suisse ; aussi n’a-t-elle épargné ni avertissemens ni conseils pour engager la confédération à se préserver des excès qui seuls pourraient amener un semblable résultat : elle a reconnu le droit qu’avait la nation helvétique de réviser son pacte fédéral, mais elle lui a signalé les écueils où elle pouvait tomber en remaniant sa constitution, et les dangers où la précipiteraient les exagérations des partis qui la divisent. Ce langage est-il suspect ? Ces sentimens sont-ils hostiles ? En parlant ainsi, la France n’a pas laissé que de produire une impression assez profonde non-seulement sur les hommes modérés, mais même sur ceux des radicaux qui sont au gouvernement, et qui, en dépit de leurs préjugés et de leurs passions, ne peuvent fermer les yeux à l’évidence. Depuis quelque temps, le radicalisme se divise, se fractionne : il y a les radicaux gouvernant et les radicaux clubistes. Les premiers, malgré toute leur bonne volonté, ne peuvent pas toujours contenter les seconds, qui ne leur ménagent pas les accusations. De là des luttes au sein du parti extrême qui domine aujourd’hui en Suisse. Ce parti est, on le voit, livré à la guerre civile, qui, aux yeux des radicaux, semble être un instrument légitime de réformes et de progrès. Un prédicateur qui s’était avisé dernièrement de déplorer l’état d’anarchie où est aujourd’hui plongée la Suisse, n’a-t-il pas été menacé d’être mis en jugement ? Il était en effet bien coupable ; il avait demandé, à la fin de son sermon, que la guerre civile fût détournée de la Suisse, ou que du moins, si elle éclatait, elle retombât sur la tête de ceux qui l’auraient provoquée. La propagande organisée à l’étranger, des comités directeurs qui, de Paris et de Londres, travailleront à imprimer en Suisse plus d’unité à la marche de la démocratie, tels sont encore les moyens auxquels le radicalisme demande son triomphe. Faut-il s’étonner que de pareilles démonstrations en provoquent d’autres ? Des évêques de France se prononcent de leur côté en faveur des catholiques suisses. Cette sorte d’intervention est fâcheuse : tout ce qui donne aux cantons conservateurs une couleur trop exclusivement catholique peut leur faire perdre de puissans appuis et mettre des obstacles à une fusion nécessaire. C’est, en effet, plus que jamais le moment pour l’opinion modérée de rassembler ses forces et ses élémens. Il importe à la Suisse de voir s’élever un parti intermédiaire qui sache faire de précieuses recrues tant parmi les protestans que parmi les catholiques. Ce parti ne peut obtenir la prépondérance qui lui permettra de rendre de véritables services à son pays qu’en subordonnant aux grands intérêts nationaux les passions religieuses. Les conservateurs suisses doivent agir non pas en sectaires, mais en hommes politiques ; ils doivent de plus en plus dégager leur cause