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dans leur indépendance. L’Autriche ne doit pas non plus oublier que, si Pie IX est faible comme prince temporel, il dispose d’une autorité morale contre laquelle il ne serait pas d’une habile politique d’entrer en lutte ouverte. Quelque opinion que le gouvernement autrichien puisse avoir de sa force, il ne se croit pas sans doute plus maître en Italie que ne l’était Napoléon il y a quarante ans. Cependant Napoléon, au milieu de ses triomphes, après Austerlitz et Iéna, s’irritait des obstacles que lui opposait la fermeté de Pie VII. « Je trouve dans mon siècle, s’écriait-il, un prêtre plus puissant que moi, car il règne sur les esprits, et moi je ne règne que sur la matière. » Dans des circonstances analogues, la puissance de Pie IX serait plus grande encore que celle de Pie VII, car à l’autorité de la religion se joindrait le prestige des idées de liberté. L’Autriche a-t-elle intérêt à provoquer un pape à reprendre l’antique et glorieux rôle de représentant de l’indépendance italienne ? D’un autre côté, ne serait-il pas étrange qu’un cabinet qui professe si hautement les principes conservateurs se constituât l’adversaire de la papauté ? Aujourd’hui donc, tout conseille à la cour de Vienne d’apporter dans les affaires de l’Italie la plus grande réserve ; elle y est invitée par son intérêt, par la politique d’ordre et de stabilité qu’elle prétend exprimer et servir plus que personne, par les changemens moraux qui se sont opérés autour d’elle.

Il y a, pour ce qui concerne l’Italie, un complet contraste entre l’Autriche et la France. A l’Autriche la prépondérance matérielle, à la France l’influence morale. Notre rôle dans la péninsule est d’autant plus facile et peut-être d’autant plus considérable, qu’il est plus désintéressé. L’Italie est bien convaincue que la France fait les vœux les plus sincères pour son indépendance, et qu’elle a abdiqué à son égard tout projet de conquête et de domination. Cette persuasion, jointe au souvenir de la régénération morale que lui apportèrent, à la fin du dernier siècle, les armées victorieuses de la révolution française, lui inspire pour nous une confiance, une sympathie qu’il serait bien peu politique de tromper. D’ailleurs, les traités de Vienne ont créé à l’Autriche en Italie une situation si formidable, qu’il faut au moins veiller à ce qu’elle ne s’agrandisse pas encore. En 1831, en 1832, la France posait avec fermeté le principe de l’indépendance et de l’intégrité des états du saint-siège. Ce principe domine tout, et nous sommes convaincus que le gouvernement français n’a rien fait, n’a rien dit qui puisse l’affaiblir et en entraver l’application. Pourquoi se désarmer de gaieté de cœur ? La cour de Rome a fait connaître qu’elle ne réclamerait pas d’intervention étrangère c’est bien ; mais, sur cette assurance, notre diplomatie n’a pas dû se hâter de déclarer qu’elle ne se mêlerait des affaires des états romains que dans le cas où une puissance se permettrait d’intervenir sans la demande préalable du pape. A quoi bon limiter ainsi sa propre action dans l’avenir ? Pourquoi prévoir le cas où une intervention étrangère ne provoquerait de notre part aucune réclamation, aucune résistance ? La France doit garder toute la liberté de ses mouvemens pour les éventualités qui peuvent se produire d’un instant à l’autre.

Il lui importe d’autant plus d’avoir une contenance ferme et décidée, qu’elle ne laisse pas que d’être observée avec une curiosité malveillante par des adversaires et des rivaux. La presse anglaise ne nous épargne pas ses critiques et l’expression d’une joie injurieuse, à l’idée que notre politique abandonne les principes que jusqu’ici elle avait toujours défendus. Elle nous représente comme