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qui peuvent, en certains momens, être un frein et réagir pacifiquement sur le pouvoir qui dévie. La moindre oscillation dans l’autorité suprême réveille tous les instincts anarchiques, rappelle aux armes toutes les passions sans que rien les contienne, ni l’action des lois qui ne sont plus reconnues, ni l’exigence des intérêts matériels qui n’ont pas eu le temps de se former et de sentir le prix de l’ordre et de la paix. Le plus petit changement devient bientôt une occasion de troubles. C’est l’honneur du parti modéré de s’être fortement pénétré de cette situation après 1843, et d’avoir cherché à organiser l’Espagne sur des bases régulières et solides.

Entre 1844 et 1846, le parti modéré, représenté par le ministère de MM. Narvaez, Mon, Pidal, Martinez de la Rosa, a tenté cette œuvre, qui a donné deux années de paix à la Péninsule. Pendant ces deux années, M. Mon a plus fait pour les finances de l’Espagne que tous les ministres qui l’avaient précédé. Il avait déconcerté l’agiotage, qui s’est relevé dans la personne de M. Salamanca. La seule mesure utile accomplie par ce dernier, la suppression des douanes intérieures, c’est sur les plans laissés par M. Mon qu’elle a été réglée. M. Pidal avait donné quelque vie, quelque force aux institutions civiles par un ensemble de décrets sur le conseil d’état, sur les municipalités, sur les députations provinciales. Pour juger, sous un autre rapport, de l’influence heureuse qu’a exercée le général Narvaez, qu’on examine l’armée depuis son ministère : jusque-là, elle était travaillée par l’indiscipline, se mêlait à tous les débats politiques, prenait part à tous les soulèvemens. On se souvient des révolutions accomplies par des sergens ivres ; Espartero lui-même n’a-t-il pas donné l’exemple de la révolte contre le gouvernement ? Pendant la crise actuelle, elle reste calme, neutre, non pas indifférente, mais disciplinée. Le résultat des efforts du parti modéré eût été de procurer ainsi à l’Espagne, par des voies diverses, la vérité, la pratique des institutions libres, de lui donner la stabilité, qui est son premier besoin. C’est là véritablement le progrès éclairé et digne, et c’est celui que repousse le parti progressiste espagnol. S’il fût arrivé au pouvoir, s’il y arrivait encore, la Péninsule serait bientôt en révolution. Un de ses organes, l’Espectadore a un peu trop naïvement laissé échapper son secret, il y a quelques jours, dans un moment où l’espoir enflait son orgueil. Il ne s’agissait de rien moins, dans son programme, que de bouleverser les municipalités, de rétablir la constitution de 1837 ou d’en voter une nouvelle, de changer toutes les lois administratives, de renouveler le personnel des officiers de l’armée, de destituer toutes les autorités qui sont à la tête des provinces ; la dernière clause de ce prospectus révolutionnaire, c’était le réarmement des milices nationales, afin, disait-on, de ne point laisser les institutions sans bouclier contre les révoltes militaires. N’est-il pas