Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui marcheront d’un pas lourd ; l’air gourmé, la voix doctorale, entourés de citations, hérissés de textes, exhalant une forte odeur de bibliothèque, et croyant manquer à la dignité de la science, s’ils ne la rendaient parfaitement ennuyeuse ; il y aura toujours des cœurs misérables que les succès d’autrui irriteront, et qui se vengeront du génie en le dénigrant. Le charlatanisme de la fausse érudition, le pédantisme de la véritable, les basses colères de l’envie, ne disparaîtront jamais du monde littéraire, de même qu’il y aura toujours un coin où prospéreront les sots, et des bas-fonds où fleuriront ces bravi qui mendient la plume au poing.

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle a pris pied en France, cette famille des Figaro littéraires tenant boutique d’éloges et d’injures, et qui sont à celui qui les paie, consilio manuque. Les faiseurs de libelles du règne de Louis XIV, dont je parlais tout à l’heure, sont les nobles aïeux de cette famille, je dis nobles, très nobles, relativement à leurs descendans, car l’argent ne jouait pas encore le rôle qu’il a joué plus tard en littérature, et ils n’étaient que pleins de mauvais goût et d’envie. Mais où le libelliste est devenu véritablement le chevalier d’industrie littéraire, c’est au XVIIIe siècle, témoin le Pauvre Diable de Voltaire. A la vérité, est-on bien venu, dans cette occasion, à citer Voltaire en témoignage ? Le plus irritable des poètes doit-il être cru sur parole quand il dépose contre ses critiques ? et n’est-ce pas Voltaire qui a inauguré ce sybaritisme de la Muse, qui veut toujours être couchée par la critique sur un lit de fleurs, et qui s’irrite du pli d’une rose ? S’il n’y avait point d’autres preuves contre les critiques affamés et à escopette du XVIIIe siècle que le conte du Pauvre Diable et les comiques fureurs du vieil Arouet, je serais tenté de les absoudre ; hélas ! il y a beaucoup d’autres preuves, et il n’est que trop certain qu’il y avait alors dans beaucoup de recoins des critiques à gages vous calomniant à dire d’expert ou vous élevant au troisième ciel, le tout pour un petit écu. Or, la seule différence qui existe entre ces chevaliers d’industrie littéraire d’autrefois et ceux d’aujourd’hui, c’est que les nôtres sont plus raffinés et se font payer plus cher : il est vrai que tout a renchéri.

Personne donc, je le répète, à moins de croire à l’Eldorado, ne s’imagine que la mauvaise critique, sous ses diverses formes, pût disparaître entièrement. Aussi ce n’est pas la présence seule de la mauvaise critique au milieu de la littérature contemporaine qui doit alarmer, mais c’est le développement qu’elle a pris, c’est l’empire qu’elle exerce. Et en quel moment, grand Dieu ! à l’heure précisément où le rôle et le devoir de la critique s’agrandissaient ; car il ne s’agissait plus seulement pour elle de questions d’art, il s’agissait aussi de morale.

Quand une société est dans un état régulier et définitif, qu’elle a trouvé son assiette parfaite, et que les principes dominans, au lieu