Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

existe déjà. Ainsi, en France, la critique ne se montre qu’au XVIe siècle. A la vérité, elle sort alors de partout ; elle est confuse, obscure, mais pleine d’éclairs ; c’est un chaos d’où s’échappent des jets abondans de lumière. Elle envahit jusqu’à la poésie. La pléiade n’accomplit-elle pas une œuvre critique autant que poétique ? C’est que la muse française avait besoin désormais d’une charte pour vivre, et l’on sait comment se font les chartes. Quand on ne les reçoit pas toutes faites et comme un don gracieux, ou on les arrache par lambeaux, ou on les improvise d’un coup, ou on les emprunte. Ici on improvisait et on empruntait à la fois, deux procédés périlleux. La prose également cherchait ses lois, et Montaigne, sans les lui donner, la mettait à même de les recevoir. Malgré les incorrections qui foisonnent dans son immortel fouillis, l’admirable discoureur des Essais a contribué puissamment, à force de grace, de tours imprévus, de familiarité éloquente, à la formation de cette langue qui ne devait être définitivement fixée qu’au siècle suivant, non pas au début encore et d’emblée : il fallut traverser l’hôtel de Rambouillet pour arriver à Port-Royal. Et qu’on n’aille pas croire que je partage le préjugé vulgaire touchant l’hôtel de Rambouillet. Je sais que Mme la marquise de Rambouillet et Mme la duchesse de Montausier assistèrent à la première représentation des Précieuses ridicules, et applaudirent de tout cœur, ce qui prouve suffisamment qu’elles étaient de l’avis de Molière sur le compte de Cathos et de Madelon. Mais enfin, quoi qu’on die, l’hôtel de Rambouillet n’était pas l’asile du goût sévère, et il y avait loin du salon bleu à Port-Royal, cette école souveraine de critique, d’où sortirent la prose la plus forte et la poésie la plus parfaite, c’est-à-dire la prose de Pascal et la poésie de Racine.

C’est dans la vallée de Chevreuse qu’est la source profonde où le XVIIe siècle puisa sa principale grandeur. C’est à la haute école des solitaires que ce siècle doit en partie d’avoir été l’intime et magnifique alliance de l’esprit critique et de l’esprit créateur, car il a été cela ; les paradoxes modernes n’ont pas diminué sa gloire, et ils ne prouvent rien contre lui, s’ils prouvent beaucoup contre nous. Du reste, ces paradoxes sont aujourd’hui tombés à plat, et si le XVIIe siècle reçoit encore quelquefois des éclaboussures, c’est de la part de quelque insulteur attardé. Il est, pour tout le monde, la raison à sa plus haute puissance, et l’on est revenu à l’admiration pure et simple pour une époque littéraire où les plus grands poètes ne rompent jamais avec le bon sens, et sont eux-mêmes, quand ils veulent s’en donner la peine, de parfaits critiques, ce qui les distingue un peu des nôtres. Sans parler de ce pauvre et grand Boileau, qui, lui, fait profession de maître en matière de goût, prenez les courtes préfaces de Corneille et de Racine ; ne sont-elles pas d’excellens traités de critique en quelques lignes ? Nos illustres contemporains sont plus longs. Voulez-vous une page de la critique la plus