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aux corps qui inspirent de l’amour : malgré tout le mérite de Burke, elle n’est réellement pas discutable. Quant à celle d’Hemsterhuis, elle est du grotesque le plus réjouissant. À ce compte, un pavé ou une ligne de gazette vaudraient mieux que le Parthénon ou l’Iliade, car l’ame doit s’en faire une idée dans un espace de temps beaucoup plus court.

Dans son essai, le P. André dit : « Le beau, quel qu’il soit, a toujours pour fondement l’ordre et pour essence l’unité. » Cette définition est incomplète, quoique judicieuse et plausible en apparence, car le beau éclate souvent où l’ordre est violé et manque dans des œuvres parfaitement régulières. S’il faut en croire Diderot, la notion du rapport constitue la beauté. Nous n’en croirons pas Diderot, car la notion du rapport existe entre une foule de choses indifférentes, désagréables ou même décidément affreuses. Marmontel proclame que les trois qualités distinctives du beau sont la force, la richesse et l’intelligence. A quoi M. Töpffer répond, avec beaucoup de raison, que, dans la nature comme dans l’art, le beau se rencontre fréquemment sans la force, et la richesse sans le beau, tandis que l’intelligence a tout autant son rôle dans l’utile, dans le juste, dans le bon, dans le mauvais même, que dans le beau.

Platon, dans son dialogue du grand Hippias, établit « que le beau ne doit être cherché dans rien de particulier, dans rien de relatif ; que tel ou tel objet peut être beau, mais qu’il ne l’est pas par lui-même, et qu’il existe au-delà des choses individuelles un beau absolu qui fait leur beauté. » « Qu’on y pense, dit M. Cousin en commentant ce dialogue, c’est l’idée seule du beau qui fait que toute chose est belle. Ce n’est pas tel ou tel arrangement des parties, tel ou tel accord de formes, qui rend beau ce qui l’est ; car, indépendamment de tout arrangement, de toute composition, chaque partie, chaque forme pouvait déjà être belle encore, la disposition générale étant changée. La beauté se déclare par l’impossibilité immédiate où nous sommes de ne pas la trouver telle, c’est-à-dire de ne pas être frappés de l’idée du beau qui s’y rencontre. On ne peut donner une autre explication de l’idée du beau. »

Arrêtons là cette liste de définitions déjà trop longue, et résumons-nous. Le beau dans son essence absolue, c’est Dieu. Il est aussi impossible de le chercher hors de la sphère divine, qu’il est impossible de trouver hors de cette sphère le vrai et le bon absolus. Le beau n’appartient donc pas à l’ordre sensible, mais à l’ordre spirituel. Il est invariable, car il est absolu, et cela seul peut varier qui est relatif. Descendu de ces hautes régions dans le monde sensible, le beau, non pas en lui-même, mais dans ses manifestations, est soumis aux influences extérieures. Les mœurs, les habitudes, les modes, la corruption, la barbarie, peuvent en troubler la potion. Le temple croule quelquefois ; mais, en déblayant les ruines, on trouvera toujours sous les décombres le dieu de marbre immobile et serein.