Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Valparaiso, mériteraient d’être recueillies et sauvées de l’oubli. Le Chili n’a pas seulement des poètes, il a déjà des femmes de lettres ! La courtoisie veut que nous citions en première ligne, parmi ces représentans d’une littérature naissante, la señora Mercedes Martin. Une légende en vers qu’elle a publiée, la Novia y la carta (l’Épouse et la Lettre), correspond aux essais du même genre qui parurent en France au milieu de l’effervescence poétique d’avant 1830, et où l’élément classique ne s’effaçait encore qu’à regret devant les exagérations du romantisme. Le sujet de la légende, c’est la lutte de l’amour et du devoir dans le cœur d’une femme mariée. On jugera de la couleur générale du poème par ce passage où l’auteur sonne le glas de la vertu expirante :

« Mais tu cèdes, mon Dieu ! un oui terrible échappe à tes lèvres pâles et tremblantes. Comme une rose que l’ouragan agite pendant une nuit tourmentée, tu tournes autour de toi ta tête en délire, et tu sembles chercher une protection inutile. Tes prunelles enflammées s’éteignent et ne jettent plus que des regards d’épouvante. Telle la lumière sinistre de l’éclair effraie, terrifie et présage mille maux à la terre[1]. »

Il y a chez l’auteur de la Novia des qualités et des défauts qu’on trouve rarement unis. Sa légende rencontre quelquefois la grace et la naïveté, quelquefois aussi elle tombe dans les effets vulgaires ; c’est un récit commencé comme un poème et qui finit comme un mélodrame.

Parmi les poètes chiliens chez qui l’influence des littératures étrangères est le plus vivement accusée, nous citerons M. Irizare et M. San-Fuentes. L’un a beaucoup lu nos poètes contemporains, l’autre a étudié avec fruit lord Byron. M. Irizare, qui, dans ses propres compositions, ne manque ni de brio ni d’élégance, est plus heureux encore lorsqu’il traduit ses modèles bien-aimés. Ainsi, une des plus charmantes orientales de M. Victor Hugo, Sara la baigneuse, n’a perdu presque rien de

  1. Mas tu celles, ai Dios ! y un si terrible
    Se escapa de tu labio
    Descolorida y trémula cual rosa.
    Que en tarde barascosa
    Ajita et uracan, la faz turbada
    Tornas en derredor, cual si buscases
    Inutil protection ; las rutilantes
    Pupilas apagadas se estravian
    Y miradas de espanto solo envian,
    Como la luz siniestra del relampago
    Que amedrenta y aterra
    Presajiando mil males a la tierra.