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Nous ne sommes pas tout-à-fait de l’avis de M. Töpffer relativement aux variations et aux changemens de ce qu’il nomme les signes conventionnels de la peinture, et qui dès-lors cesseraient d’être représentatifs des objets naturels, qui sont toujours les mêmes : ces différences d’époque, de nation, d’école, d’individu, ont leur raison d’être dans la nature. Le peu de rapports qui existe entre un Teniers et un Léonard de Vinci, entre un Phidias et un Puget, entre un Boucher et un Géricault, ne vient pas de la variation capricieuse du signe conventionnel, mais de la dissemblance des types modifiés par le climat, le temps, le costume, les mœurs, et surtout par la manière de voir, et le style de l’artiste : plus l’imitation même interprétée sera fidèle, plus la diversité sera grande. La Grecque du temps de Phidias dans sa tunique de marbre aux petits plis froissés, la Joconde, ce mystérieux sourire épanoui dans un nuage de demi-teintes, le paysan à forme de magot qui lutine la servante d’un cabaret, la bergère fardée et mouchetée de la régence qui conduit son agneau poudré à blanc, ne sont nullement des caprices, mais bien des représentations exactes de types contemporains. Nous ne saurions admettre non plus que le beau vienne uniquement de la pensée de l’artiste ; l’idéal n’est pas toujours préconçu. Souvent la rencontre d’un type noble, gracieux ou rare, éveille son imagination et suscite des œuvres qui, sans cet événement fortuit, ne seraient pas nées. Un grand nombre de peintres et de sculpteurs reçoivent de l’extérieur l’impression du beau, et procèdent du matériel à l’idéal : ce ne sont donc pas des formes qu’ils empruntent à la nature pour en revêtir la conception à priori qu’ils ont eue du beau ; l’opération, avec eux, est toute contraire : ils prennent à posteriori dans leur esprit un souffle pour faire vivre les types observés et choisis. Au lieu de donner une forme à l’idéal, ils donnent un idéal à la forme ; ce n’est plus l’ame qui prend un corps, c’est le corps qui prend une ame : ce dernier procédé paraît même le plus simple. Le Titan qui souffrit sur les croix du Caucase les douleurs du Calvaire, quand il eut modelé sa statue d’argile, ravit la flamme du ciel, et appliqua une torche au flanc muet du fantôme pétri par ses mains.

La fantaisie du cerveau humain, que l’on croirait immense, est cependant très bornée, car il est impossible d’imaginer une forme en dehors des choses créées. Les chimères les plus monstrueuses sont réelles, leur étrangeté apparente ne provient que de la réunion de parties vraies séparément. Le lion, la chèvre et le serpent ont chacun un membre à réclamer dans la bête hideuse tuée par Bellérophon. Les mégalonix, les icthyosaures, les ptérodactyles, les mammouths, les paloeontheriums, dans la création anté-diluvienne, et, dans une époque plus récente, la zoologie bizarre de la Nouvelle-Hollande, sans compter le monde fourmillant révélé par le microscope à gaz, ont justifié d’avance