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Jabot, Vieux-Bois, Cryptogame et autres personnages grotesques de son invention. Le grand Goethe daigna sourire aux fantaisies drolatiques du caricaturiste genevois, et ses petits cahiers lithographiés obtinrent un succès européen.

Il serait difficile de trouver en France des équivalens pour faire comprendre le talent de M. Töpffer comme dessinateur humoristique : ce n’est ni la finesse élégante de Gavarni, ni la puissance brutale de Daumier, ni l’exagération bouffonne de Cham, ni la charge triste de Traviès. Sa manière ressemblerait plutôt à celle de l’Anglais Cruikschanck ; mais il y a chez le Genevois moins d’esprit et plus de naïveté : on voit qu’il a étudié avec beaucoup d’attention les petits bons-hommes dont les gamins charbonnent les murailles avec des lignes dignes de l’art étrusque pour la grandeur et la simplicité ; c’est même le sujet de l’un des plus charmans chapitres de son livre. Il a dû également s’inspirer des byzantins d’Épinal. Les belles images d’Henriette et Damon, du Juif errant Isaac Laquedem, de Geneviève de Brabant, de Pyrame et Thisbé, devaient, à coup sûr, orner son musée ou son cabinet de travail. Il en a appris l’art de rendre sa pensée, sans lui rien faire perdre de sa force, en quelques traits décisifs, dont la préoccupation des détails anatomiques et de la vérité bourgeoise ne vient pas troubler une seule minute la hardiesse sereine. Aussi quelques-unes de ses planches peuvent-elles être mises à côté des vignettes qui ornaient l’ancienne édition du Diable amoureux de Cazotte, et dont les illustrations les plus soignées et les mieux finies n’ont pu faire oublier le gribouillage primesautier et profondément significatif.

Nous avons un peu insisté, avant d’arriver aux Réflexions et menus Propos, sur le caractère du dessin de M. Töpffer, du moins tel qu’on peut le deviner d’après des cahiers de charges croquées à la plume, pour charmer les loisirs des soirs d’hiver et réveiller la gaieté du cercle intime. Il voudrait, autant que possible, entre la pensée et la réalisation de cette pensée, atténuer ou supprimer le moyen ; il trouve avec raison cette figure de soldat griffonnée par un écolier, où les buffleteries, les épaulettes, les boutons de l’uniforme, sont indiqués d’une manière presque hiéroglyphique, supérieure à ce guerrier romain ombré soigneusement par un rapin au bout de deux ans d’atelier. Dans le charbonnage informe, l’idée de soldat éclate avec bien plus de force que l’idée de guerrier dans le dessin savamment fini. S’il eût continué ses études pittoresques, M. Töpffer eût assurément cherché le naïf, car, bien que la naïveté soit ou paraisse être plus que toute autre chose un don inné, on peut néanmoins la cultiver et la préserver d’altération comme une plante précieuse, quoique semée d’elle-même, et, qu’on entoure de soins délicats.

Les Réflexions et menus Propos d’un peintre genevois devaient être