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puis on remplit ces jarres avec le jus de raisin non cuit. La fermentation s’accomplit, et le vin est mis en barriques. Les vignobles les plus productifs du Chili se trouvent entre la province d’Aconcagua, au nord de la capitale, et celle de Conception ; les vins doux et très capiteux que produit cette dernière province sont particulièrement estimés.

Durant plusieurs mois de l’année, la sécheresse est complète au Chili ; aussi les irrigations sont-elles indispensables, et jouent-elles un grand rôle dans la culture des terres. Les provinces du nord, privées d’eau, sont moins fertiles que celles du sud, où les rivières sont abondantes. Parmi les céréales qui figurent principalement dans les récoltes, on compte le froment, l’orge et le maïs. Les deux premiers viennent de roulo, c’est-à-dire sans irrigation, sur presque tous les points du territoire. L’exportation des grains ne se fait pas sur une grande échelle. Le Pérou, qui est le marché principal, en reçoit tout au plus cent mille hectolitres ; le pays conserve donc un surcroît immense d’approvisionnemens, et le manque de débouchés empêche les cultivateurs de donner une plus grande extension à cette branche de l’agriculture.

Les haciendas et les mines sont, on le voit, les principaux foyers de la production nationale au Chili. L’industrie manufacturière est nulle. Si on passe maintenant des campagnes aux villes, aux centres intellectuels du pays, on retrouve les symptômes d’activité régulière qui nous ont frappé dans l’ordre matériel. Tout semble calculé d’ailleurs pour favoriser cette activité, pour la diriger surtout vers les paisibles conquêtes des lettres et des sciences. Les inconvéniens qu’entraînent dans un petit état les prétentions militaires n’existent pas au Chili. L’effectif de l’armée régulière est fort réduit. Trois ou quatre escadrons de cavalerie, le même nombre à peu près de bataillons d’infanterie, enfin quelques brigades d’artillerie légère, voilà tout. Pendant la dernière guerre, cet effectif ne s’élevait qu’à dix mille hommes. Une garde nationale très bien organisée fait presque partout le service des villes, service facile dans un pays où les turbulens forment aujourd’hui une imperceptible minorité. La marine est représentée par une frégate souvent désarmée et trois ou quatre goélettes.

Faut-il attribuer à cette prédominance de la vie civile sur la vie militaire le goût croissant qui se manifeste dans la jeunesse chilienne pour les travaux de l’esprit ? Depuis quelques années, il y a un mouvement littéraire au Chili, mouvement de peu d’importance encore, où l’influence de notre littérature se fait trop sentir, mais qui mérite de nous occuper. Qui sait, en effet, si ces lueurs douteuses ne précèdent pas une brillante aurore ? Sous le régime de l’ombrageuse Espagne, tous les livres auxquels on supposait la plus légère tendance politique ou philosophique étaient sévèrement prohibés. Les ouvrages de piété ou ceux dont on ne pouvait suspecter l’orthodoxie avaient seuls leurs