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fray Epigmenio, jaloux de sa vertu rigide, lui avaient tendu le piège assez grossier où il était tombé. On avait trouvé un compère adroit et une fille complaisante ; malheureusement le fanatisme brutal du moine avait tout gâté. L’inquisition, qu’on ne voulait pas mêler dans tout ceci, avait eu vent de l’affaire. La comédie avait alors tourné au drame. La vengeance du père qui s’était repenti d’avoir vendu sa fille, la fin malheureuse de cette dernière, la vie de fray Epigmenio désormais flétrie et désolée, telles avaient été les suites de cette honteuse intrigue tramée à l’ombre du cloître même où nous nous trouvions. Tel fut le commentaire que je soumis à fray Serapio ; mais celui-ci, par entêtement aussi bien que par crédulité, se garda bien d’admettre mon interprétation.

Le lendemain, nous arrivâmes à l’hacienda de l’ami de don Diego Mercado, où une cordiale réception nous fit oublier les fatigues de cette nuit si agitée. De retour à Mexico, je continuai mes visites au couvent de Saint-François, et, je l’avoue, je lus avec plus d’intérêt les récits conservés dans ses précieuses archives, car j’avais pu me convaincre que l’antique fanatisme espagnol, dont ces récits énuméraient les actes, vit encore profondément dans une partie de la population du Mexique. Entre le passé et le présent des cloîtres de cet étrange pays il y a un lien étroit, que les mœurs légères de quelques moines rencontrés en passant dans les rues de Mexico ne m’avaient pas fait soupçonner. L’inquisition a disparu, mais en laissant dans le clergé une trace profonde, une tradition singulièrement vivace de démoralisation, d’ignorance superstitieuse et de fanatisme.

Chaque fois que je me rendais au couvent de Saint-François, je rencontrais fray Epigmenio, tantôt errant dans le cloître, tantôt rêvant sous la tonnelle du jardin. Un jour, cependant, je parcourus tout le couvent sans que le vieux moine se présentât sur mon passage. Au moment où je me retirais, fray Serapio vint au-devant de moi. La présence du franciscain dans son couvent était un cas trop insolite pour que je ne l’interrogeasse pas sur le motif de cette pieuse dérogation à ses habitudes.

— Hélas ! s’écria Serapio d’une voix dolente, ne m’en parlez pas… fray Epigmenio n’en fait jamais d’autres. Il vient de mourir. Une fièvre lente le minait depuis long-temps ; ce matin elle l’a achevé, et c’est moi qui dois veiller le corps du révérend père. Pouvait-on me jouer un tour plus affreux ?

— Je ne vous comprends pas, lui dis-je. Serait-ce par hasard au pauvre fray Epigmenio que vous en voudriez ?

— Et à qui donc, si ce n’est à lui ? Savez-vous ce que la veillée de cette nuit me fait perdre ? Un rendez-vous charmant, mon cher. — Et pour commentaire à ces derniers mots, fray Serapio me lança un regard expressif qui complétait sa demi-confidence. Je ne me sentis pas