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L’officier don Blas affirmait qu’il avait aperçu au clair de lune un cheval qui n’était pas l’un des nôtres. L’étudiant prétendait avoir rencontré le spectre de l’un des moines enterrés dans le couvent. Un court silence accueillit ces bizarres révélations. Don Romulo le rompit le premier.

— Voilà décidément une société bien mêlée, le cheval de quelque bandit et le fantôme d’un moine, des spectres et des malfaiteurs !

Nous engageâmes fray Serapio à prononcer dans son formidable latin la classique formule d’exorcisme ; mais le moine nous répondit brusquement :

— Mon latin n’éloignerait pas le spectre dont il est question, il l’attirerait au contraire. Et Dieu veuille qu’il ne paraisse pas ! Sachez-le bien, il n’y a pas ici de revenant. Le fantôme qu’a vu te seigneur don Blas est une réalité. C’est mon supérieur, le révérend père Epigmenio, qu’un vœu de pénitence prononcé à la suite d’une peccadille de jeunesse ramène ici chaque année au retour de la semaine sainte. S’il m’aperçoit, comment justifier mon déguisement et ma folle excursion ?

La réponse du franciscain nous rassurait complètement, et son inquiétude n’excita en nous qu’une très médiocre compassion. Voulant néanmoins éviter entre les deux moines une rencontre et peut-être un conflit désagréable, nous choisîmes pour y faire du feu une des cellules les plus retirées du couvent, et nous nous étendîmes autour du foyer sur nos manteaux humides. Bientôt l’étudiant, l’officier et le gentilhomme dormirent profondément ; le moine et moi, nous restions seuls éveillés. Fray Serapio, attentif au moindre bruit, tremblait sans cesse d’être surpris par son inflexible supérieur ; pour moi, j’étais sous l’impression de l’histoire, si malencontreusement interrompue, de fray Epigmonio. Voyant que le franciscain ne dormait pas, je le pressai d’achever son récit. Mon compagnon, qui ne pouvait fermer l’œil, fut heureux de trouver ce moyen d’occuper son insomnie, et il s’exécuta d’assez bonne grace, après s’être mis sur son séant et s’être rapproché du feu.

— J’ai laissé, reprit-il, fray Epigmenio au moment où le hasard livrait à sa générosité une femme évanouie. Sa première pensée fut de prendre la fuite ; la seconde fut de rester, et il resta. Il cessa même d’appeler le cavalier blessé, dont il ne souhaitait plus le retour, et lorsque la jeune fille, sortant de sa léthargie, eut ouvert sur lui des yeux chargés de langueur, le révérend perdit complètement la tête. Si à ce moment-là l’étranger se fût montré, le moine l’eût étranglé ; mais vous avez sans doute deviné que l’homme aux vêtemens noirs n’était autre que le diable lui-même.

Pour toute réponse à cette question fort inattendue, je me contentai de secouer la tête. Fray Serapio ; qui cachait sous ses prétentions de séducteur