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presque aussitôt, à notre inexprimable satisfaction, un sapin frappé à quelques pas de nous par la foudre s’enflamma rapidement et ne tarda pas à jeter autour de lui une large zone de lumière.

— Nous sommes sauvés ! cria fray Serapio ; j’aperçois près d’ici un talus moins escarpé que nos chevaux pourront gravir.

Déjà nos compagnons avaient en effet franchi les bords du torrent ; ils nous invitaient, du geste et de la voix, à les imiter. Mon cheval, raidissant alors ses jarrets par un effort désespéré, atteignit à son tour le sommet du talus. Je fus suivi de près par fray Serapio, qui, deux fois repoussé par cette berge glissante, était revenu à l’assaut une troisième fois et s’était comporté, dans cette occasion difficile, en véritable cavalier mexicain. Nous n’étions pas cependant à l’abri de nouveaux dangers. Un moment avait suffi pour nous tirer d’une situation désespérée. Il fallait se hâter de chercher un abri ; il ne pouvait plus être question de pousser jusqu’à l’hacienda. Le ciel, qui s’était éclairci, nous montra une route battue qui longeait le ravin. Cette route devait nous mener aux ruines du Desierto, du couvent même où fray Epigmenio avait prononcé ses voeux. Nous nous élançâmes dans le sentier battu, certains, cette fois, de ne plus nous égarer, et, quelques minutes après avoir échappé au danger d’une submersion imminente, notre petite troupe s’arrêta, avec une satisfaction profonde, devant les murs ruinés de l’antique monastère.


V.- LE DESIERTO

Après avoir attaché nos chevaux dans la cour extérieure du couvent, nous choisîmes, à l’entrée du bâtiment, la cellule qui nous offrait l’abri le plus commode. Les premiers momens de halte furent consacrés à un échange de réflexions moitié bouffonnes et moitié sérieuses sur le danger auquel nous venions d’échapper. Don Romulo avoua qu’il avait pris part à dix-sept conspirations, qu’il avait été banni, avec circonstances aggravantes, de trois républiques, le Pérou, l’Équateur et la Colombie, mais que les momens qu’il venait de passer devaient être comptés parmi les plus pénibles de sa vie, si pleine d’émotions. Quant au moine, à l’étudiant et à l’officier, ils confessèrent de bonne grace que si, à l’approche du danger, l’insouciance s’était montrée dans leurs discours, elle était loin de régner dans leur ame. Ces premières confidences échangées, nos yeux se portèrent plus tranquillement sur l’édifice en ruines où le hasard nous avait forcés de chercher un asile.

Situé au milieu d’un paysage qui rappelle celui de la Grande-Chartreuse de Grenoble, le couvent du Desierto est encore, à l’extérieur, assez bien conservé. Ses coupoles et ses clochers dominent comme autrefois