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sur son beau visage et sur sa robe blanche. Vous comprenez quel dut être le trouble d’Epigmenio à la vue de cette jeune fille, qui lui rappelait les plus adorables visions de ses nuits. Il se remit pourtant après un court silence et représenta à l’étranger que le couvent du Desierto était encore éloigné ; que, fût-il même plus près, une femme ne saurait y recevoir l’hospitalité. L’inconnu se plaignit alors de ne pouvoir même continuer sa route, car il n’avait plus son cheval, qui s’était échappé au moment de l’attaque des voleurs. Rassemblant toutes ses forces, il déclara que sa blessure le faisait moins souffrir et qu’il allait profiter de ce soulagement passager pour se mettre à la recherche de l’animal. Le moine s’éloigna de son côté, en promettant, s’il trouvait le cheval échappé, de le ramener au lieu où ils laissaient tous deux la jeune fille évanouie. Que vous dirai-je ? Fray Epigmenio chercha long-temps et inutilement. Dans tous les endroits que la lune éclairait, une bizarre hallucination lui montrait la robe blanche de la jeune fille qu’il venait de quitter. Bientôt, soit qu’il eût perdu sa route, soit qu’une puissance irrésistible l’entraînât, le moine se retrouva près de l’endroit où reposait la compagne toujours évanouie de l’étranger. Seulement, celui-ci n’était plus là. Une tentation terrible menaçait la vertu du révérend. Il y avait là, devant lui, une femme jeune et belle, dont la chevelure noire flottait déroulée sur de blanches épaules. Jamais la lune n’avait eu de plus magiques reflets, jamais les bois n’avaient exhalé une senteur plus enivrante. Fray Epigmenio, épouvanté, appela l’étranger de toutes ses forces ; mais l’écho seul lui répondit. »

Un éclair éblouissant vint interrompre, à cet endroit, le récit du moine, et nous annoncer que l’orage redoublait. Cette nouvelle interruption devait se prolonger bien au-delà de nos prévisions. Une eau fangeuse gagnait déjà nos étriers. Nos chevaux, immobiles depuis plus de deux heures, venaient enfin de se retourner pour présenter leur poitrail au fil de l’eau, dont l’impétuosité croissait de minute en minute avec de sourds grondemens. Autour de nous, dans l’épaisseur du bois, le fracas des torrens se mêlait de plus en plus terrible à la sauvage harmonie des vents, qui soufflaient de tous les points de l’horizon.

— L’eau monte ! s’écria fray Serapio, et nos chevaux seront bientôt sans force contre elle.

Presque au même instant, une eau glacée vint mouiller nos pieds et, nous arracher un cri de saisissement. Nos chevaux tirent une brusque conversion et soit guidés par leur instinct, soit emportés par la force du courant, ils commencèrent à descendre la pente du ravin. Un autre cri de détresse, que le vent nous apporta, nous apprit que le torrent entraînait aussi nos compagnons d’infortune. Un second éclair vint illuminer la forêt et fut suivi d’un éclat de tonnerre qui vibra long-temps dans l’espace. Une odeur sulfureuse se répandit autour de nous ;