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crut agir prudemment en déclarant qu’il était neveu du plus célèbre apothicaire de la ville. Le greffier sténographiait ces réponses en cassant de petites branches de xocopan et en alignant, comme des hiéroglyphes, des grains de maïs sur le sol. Pour l’alcade, il semblait triompher de tenir en sa puissance cinq hommes de race ennemie. Quand l’étudiant eut déclaré sa parenté avec l’apothicaire de Mexico, le rusé Indien ne se tint pas pour battu. Il parut réfléchir, puis une expression de joie maligne se trahit sur sa physionomie, quand il lança à don Diego Mercado cette question perfide :

— Puisque vous êtes le neveu d’un apothicaire, vous devez savoir un peu de botanique ?

Don Diego répondit affirmativement avec un air de parfaite assurance.

— Vous connaissez par conséquent les vertus du matlalquahuitl ?

L’alcade avait choisi avec intention parmi les dénominations indiennes des plantes mexicaines une des plus bizarres et des moins connues. En voyant la stupeur qui se peignit sur le front de l’étudiant, il devina que son expédient avait réussi, et il se frotta les mains d’un air de cruelle satisfaction. — Vous ne savez pas la botanique, donc vous m’avez trompé, vous n’êtes pas le neveu d’un apothicaire ; vous êtes tous des voyageurs suspects, j’ai le droit de vous arrêter et je vous arrête. — Tel était le raisonnement que nous lisions dans les regards de l’alcade, qui se fixaient dédaigneux et moqueurs tantôt sur don Diego Mercado, tantôt sur nous. En ce moment, la fête religieuse, dans laquelle l’alcade avait un rôle important à jouer, vint heureusement faire diversion à notre interrogatoire. Un groupe d’Indiens entra précipitamment dans la salle d’audience. Ils traînaient ou plutôt poussaient devant eux un homme couronné d’un diadème en roseaux et drapé d’un manteau rouge en lambeaux qui devait avoir servi de muleta[1] dans quelque course de taureaux. Sa figure et tout son corps étaient souillés de boue. Ses mains étaient liées derrière le dos par des attaches en jonc. Je contemplais cet homme avec étonnement comme une énigme vivante, quand l’étudiant, qui connaissait mieux les mœurs indiennes que les vertus du matlalquahuitl, me dit à voix basse :

— N’allez pas prendre au sérieux cette facétie religieuse ; il s’agit ici d’une représentation dramatique de la passion. Nous ne sommes plus dans un village indien, mais à Jérusalem. Ce drôle à mine effrontée, c’est le Christ, et cet alcade, que Dieu confonde, c’est Pilate.

En effet, nous vîmes bientôt se dérouler toutes les scènes d’un vrai mystère du moyen-âge. L’alcade, après avoir gravement écouté sous son dais de feuillage les accusations calomnieuses des Juifs, se leva et

  1. On appelle muleta le drapeau rouge que le toreador agite pour exciter le taureau.