Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

refusé à ce climat où règne un printemps éternel les brumes mélancoliques de l’automne, cet autre symbole de la maturité grave et recueillie. Je soupirais même après les frimas de nos hivers. L’aspect du jardin était en harmonie parfaite avec les idées sombres que je ne pouvais éloigner. Les hautes murailles du couvent l’entouraient de tous côtés. Le soleil avait calciné les parois de briques sur lesquelles s’ouvraient les lucarnes des cellules désertes. L’herbe sauvage poussait partout au hasard sur le terrain ombragé de sycomores, de palma-christi et de manguiers. Une tonnelle ornée de plantes grimpantes était le but ordinaire de mes promenades. Là, sous un dôme fleuri où la passiflore, cette plante favorite des cloîtres, les jasmins et les clématites entrelaçaient leurs jets touffus, je passais de longues heures, rêvant à mon pays, à mes amis absens. Un charme mystérieux s’attachait pour moi à cette fraîche et rustique retraite. Une devise gravée sur le tronc d’un sycomore qui ombrageait la tonnelle avait souvent attiré mes yeux : In silentio et in spe erit fortitudo tua. Cette devise était-elle la dernière pensée du religieux qui avait élevé cette tonnelle et qui l’avait parée avec tant de soin, peut-être en souvenir de beaux jours trop tôt écoulés ? L’homme dont cette brève formule résumait peut-être la vie avait-il trouvé la force dans le silence et dans l’espoir ? L’ame se sentait en effet fortifiée, calmée surtout, dans cette solitude. Il y avait quelque charme à oublier le monde dans ce jardin inculte et sauvage, où les seuls bruits qui rappelassent la vie étaient le bruissement des colibris sur les rosiers, le tintement des cloches et les murmures affaiblis de l’orgue.

Le jardin était presque toujours désert. Un seul moine semblait partager ma prédilection pour ce paisible enclos et surtout pour la tonnelle, d’où je le voyais presque toujours s’échapper furtivement à mon approche : ce moine était le même que j’avais souvent observé sous les cloîtres avec une curiosité presque craintive. Quelquefois je le surprenais arrosant les plates-bandes, donnant ses soins aux fleurs qui bordaient les allées envahies par les hautes herbes. Mon imagination chercha bientôt à établir quelque lien romanesque entre le triste vieillard et la tonnelle abandonnée. Je résolus de lier conversation avec le religieux, cette conscience si tourmentée ne pouvait manquer d’avoir quelques curieuses révélations à faire ; mais des tentatives inutiles, bien que réitérées, pour arracher le sombre promeneur à sa taciturnité habituelle me détournèrent de donner suite à ce projet. Les mains croisées sous ses larges manches, la tête baissée, le moine pressait le pas, chaque fois qu’il me rencontrait, pour se soustraire plus vite à ma vue. Chaque fois aussi je suivais long-temps du regard cet homme, dont la figure intelligente et sévère contrastait vivement avec la physionomie hébétée des autres moines. Cette figure, qui trahissait tantôt un douloureux abattement,