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chilienne saura étudier les idées françaises d’un point de vue moins étroit et surtout moins hostile.


III.

On peut distinguer deux périodes dans l’histoire du Chili depuis son indépendance : la première, agitée par des prises d’armes continuelles et par cette fièvre de mouvement qui tient encore les peuples en émoi long-temps après une grande révolution ; c’est celle qui s’étend de 1814 à 1838, depuis la première révolte contre l’Espagne jusqu’à l’expédition victorieuse contre la confédération du Pérou et de la Bolivie. La seconde, commencée à la suite de cette campagne, en 1838, se continue encore ; elle est calme et prospère. Contrairement à la plupart des états républicains de l’Amérique méridionale, où la crise révolutionnaire, suite inévitable de l’émancipation, n’a pas encore cessé, le Chili est sorti de cette crise, il a pu voir succéder à une ère d’inquiétude maladive une ère d’activité régulière et féconde ; il gagne à la fois en richesse matérielle[1] et en population. Ce repos a été favorable aussi aux travaux de l’esprit, et le mouvement intellectuel qui se dessine depuis quelques années au Chili indique une population sérieuse, réfléchie, et qui bientôt, si cette paix intérieure dure, aura pris place au premier rang parmi les sociétés du Nouveau-Monde.

La situation actuelle du Chili tient à plusieurs causes ; sans parler du caractère des habitans, la nature même semble avoir voulu protéger ce territoire contre la guerre civile aussi bien que contre l’invasion étrangère. Si l’on jette les yeux sur une carte, on voit de prime abord que, sur toute la frontière orientale du Chili, la gigantesque cordilière des Andes forme un rempart naturel qui semble interdire aux voisins de la république les tentatives de conquête, et aux Chiliens eux-mêmes les projets d’agrandissement. La limite occidentale est marquée par l’Océan Pacifique. Au nord, le Chili, resserré entre la mer et la chaîne des Andes, pousse jusqu’à la Bolivie l’extrémité de son territoire, amincie comme la pointe d’un glaive dont les provinces du centre seraient la lame et dont celles du sud seraient la poignée. À ce glaive, l’île de Chiloë pourrait se rattacher comme un pommeau dessoudé. Dans un pays ainsi pressé partout entre la mer et les montagnes, les principes de la stratégie régulière peuvent difficilement être appliqués ; les temporisations, les retraites, deviennent presque impossibles.

  1. Du temps du roi, comme on dit au Chili pour désigner la domination espagnole, les rentes de l’état ne pouvaient suffire à solder ses employés. La garnison de la province de Chiloë, par exemple, était alors à la charge du Pérou, tandis qu’aujourd’hui le trésor défraie un personnel bien plus nombreux et peut encore payer les intérêts de la dette étrangère.