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par la difficulté des circonstances, il se trouvait enfin en mesure d’imposer sa politique à un cabinet dont il était, sans contredit, la force principale par ses talens et par son éloquence. Le congrès de Vérone allait se réunir. La question qu’il avait à résoudre était celle d’une intervention française contre les libéraux espagnols qui avaient contraint Ferdinand VII à accepter la constitution démocratique de 1812. L’Angleterre, après avoir encouragé l’intervention autrichienne contre les libéraux de Naples et du Piémont, était placée dans une position peu favorable pour contester à la France le droit qu’elle venait de reconnaître à l’Autriche. Les principes, les intérêts généraux, étaient les mêmes dans les deux cas ; il n’y avait de différence que dans les convenances particulières du cabinet de Londres, naturellement hostile à tout ce qui peut augmenter l’ascendant du gouvernement français dans la Péninsule. Canning, sans se laisser arrêter par cette difficulté, entreprit de s’opposer au projet du cabinet des Tuileries, et il ne craignit pas, pour l’intimider, pour entraver son action, de faire appel à ces doctrines libérales qu’on n’était plus accoutumé à entendre invoquer par les ministres anglais. Ses efforts échouèrent, parce que la France avait pour elle l’appui plus ou moins sincère de toutes les autres grandes cours, parce que d’ailleurs les constitutionnels espagnols opposèrent à peine à l’armée française une ombre de résistance. Ce fut un échec notable pour l’Angleterre ; mais Canning, loin de s’en laisser décourager, sembla y trouver un motif de plus d’abandonner complètement le système qui avait préparé à son pays cette humiliation. L’alliance qui, depuis la fin de la guerre, unissait étroitement les grandes puissances pour la défense du principe monarchique contre l’usurpation et la révolution, et dont les congrès étaient l’expression officielle, fut définitivement rompue. Canning, comme pour se séparer hautement des cours continentales et punir l’Espagne absolutiste d’avoir accepté la protection de la France, s’empressa de reconnaître l’indépendance des colonies américaines insurgées contre l’autorité de Ferdinand VII. Aux yeux des hommes de parti, ce n’était rien moins qu’arborer l’étendard de la souveraineté du peuple contre le droit divin des rois ; même aux yeux des hommes d’affaires, une telle démarche pouvait paraître précipitée. Lord Sidmouth, qui alors siégeait encore dans le cabinet, le désapprouva. Cependant l’Angleterre ne devait pas s’arrêter sur la pente où Canning venait de la placer. On la vit bientôt en Grèce, en Portugal, soutenir, soit par ses négociations, soit par ses armes, la cause de l’indépendance des nations et des institutions constitutionnelles. Au dehors, elle marchait à la tête du libéralisme, et, si sa politique intérieure n’était pas encore entrée complètement dans cette voie, déjà du moins elle s’en rapprochait. La question de l’émancipation catholique, annuellement reproduite et vivement soutenue par Canning,