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les Chilenos de toutes les classes apporter, chacun selon ses moyens, ceux-là leur trésor, ceux-ci leur denier à la patrie menacée. La vaisselle et les bijoux précieux furent mis à la disposition du général, et, grace à cette spontanéité de dévouement, San-Martin put, dans un bref délai, réorganiser de nouvelles troupes. C’est par des succès qu’il faut en pareil cas prouver sa reconnaissance, et les succès ne manquèrent pas. Vingt jours s’étaient à peine écoulés depuis la défaite de Talca, et déjà les Chilenos se trouvaient en état de prendre leur revanche. Ils rencontrèrent les Espagnols à Maypo. L’action fut acharnée comme celles qui décident de l’avenir d’un peuple. Vaincre ou succomber devait résoudre pour la république la fameuse question to be or not to be. Après un combat sanglant et opiniâtre qui se dénoua par la défaite complète de l’armée espagnole (5 avril 1818), les Chilenos conquirent enfin leur indépendance et s’intitulèrent avec orgueil hijos del païs (enfans du pays). Les Espagnols firent bien encore quelques tentatives pour relever leur domination ; mais ces tentatives restèrent infructueuses : la journée de Maypo avait à jamais anéanti leur puissance au Chili.

Le Chileno est doué d’un esprit plus positif que brillant. A Valparaiso surtout, les intérêts commerciaux absorbent toutes ses pensées. Quand il parle, ce qui est rare, sa phrase est souvent ampoulée, emphatique. Dans les salons de Valparaiso, où se rencontrent des citoyens de toutes les républiques du sud, le caractère du Chileno ressort mieux encore par les contrastes que multiplie la réunion de types si divers. L’Argentino réfugié est le Polonais de l’Amérique méridionale ; le Peruano en est le Parisien. Le premier a la parole élégante, il intéresse, émeut, entraîne son auditoire ; quelquefois sa phrase est incisive, et l’on y reconnaît le cri d’un cœur ulcéré. La causerie du second est charmante, l’esprit y pétille, la saillie s’y épanouit, et la moquerie y revêt une forme séduisante. Le Peruano abuse de cette facilité d’élocution, il retourne sous toutes ses faces une question sérieuse, et, lorsqu’il en a découvert le côté burlesque, ne se fait pas faute de l’exploiter. Quant au Chileno, il prétend être l’Anglais de l’Amérique du Sud. Le sentiment national qui l’anime, l’instinct mercantile qui distingue particulièrement l’habitant de Valparaiso, son goût du comfortable, l’adoption rapide des usages britanniques et le peu de sympathie du peuple en général pour les Français semblent autoriser cette prétention ; mais, en étudiant de près la vie domestique du Chileno, on arrive à reconnaître qu’il tient plus du Hollandais que de l’Anglais. L’éducation toute française que l’on donne aujourd’hui à la jeunesse n’est guère d’accord avec les préjugés de ses pères, et il faut espérer qu’elle pourra les combattre. Tout en rendant justice à la génération qui l’a précédée, aux efforts glorieux qui ont assuré l’indépendance du pays, la jeunesse