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honneur, ils n’y eussent pas porté ces illusions, cet entraînement plus puissant parfois dans les conjonctures extrêmes que les lumières et les talens.

Quoi qu’il en soit, plusieurs années devaient s’écouler avant que l’opinion s’habituât à considérer le nouveau ministère comme définitivement établi dans le gouvernement du pays. Des expéditions mal conçues, de graves échecs militaires, des dissentimens intérieurs tels que la mauvaise fortune en suscite toujours, le déplorable effet produit sur l’opinion par la révélation d’un grand nombre de faits de corruption parlementaire et de prévarication administrative, placèrent le cabinet tory à plusieurs reprises dans une situation fausse et chancelante. Plus d’une fois il essaya de se fortifier en modifiant sa composition. Canning s’étant démis de ses fonctions par suite d’une querelle personnelle avec lord Castlereagh, on lui donna pour successeur le marquis de Wellesley, qui lui-même ne tarda pas à se retirer. Des offres d’alliance furent faites aux principaux whigs, à lord Grey et à lord Grenville, qui les repoussèrent formellement. Plus tard, le prince de Galles, investi, sous le titre de régent, de la plénitude du pouvoir royal que George III n’était plus en état d’exercer, se crut obligé d’inviter ces mêmes chefs de l’opposition, dont il avait long-temps été l’ami, à se charger du pouvoir ; mais, comme il ne voulut pas accepter leurs conditions, la négociation échoua, et les ministres tories reprirent leurs portefeuilles, qu’ils avaient déjà déposés. Ils étaient en réalité les hommes de la situation ; leur homogénéité faisait leur force, et cette homogénéité était complète depuis que la retraite successive de Canning et de lord Wellesley avait fait disparaître de leurs rangs les seuls hommes qui s’y distinguassent par des facultés supérieures et des idées élevées.

On n’avait pas les mêmes motifs d’exclusion à alléguer contre lord Sidmouth. Sa présence n’eût certes pas rompu ce concert de médiocrités. Sur tous les points essentiels, il partageait les principes et les préventions des tories les plus invétérés. On peut donc s’étonner que les ministres, qui cherchaient partout des auxiliaires, ne se soient pas de préférence tournés de son côté, d’autant plus qu’on était accoutumé à le voir se rallier successivement, avec sa petite phalange, aux combinaisons ministérielles les plus diverses. Suivant la plaisante expression de Canning, il était comme la petite vérole : tout cabinet devait l’avoir une fois. Ce qui, à cette époque, le tint long-temps en dehors des affaires, c’est que les amis particuliers de Pitt, qui dominaient dans le conseil, avaient peine à lui pardonner les embarras et l’amertume dont il avait rempli ses derniers jours. Ils auraient cru outrager la mémoire du grand homme, objet de leur culte et de leurs regrets, en s’unissant à celui qu’ils considéraient bien injustement comme son ennemi personnel et à qui ils reprochaient d’avoir abrégé sa vie.