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des amours-propres tellement engagés qu’un rapprochement serait pour eux une humiliation, et c’était précisément la situation de lord Sidmouth, qui tenait, avant tout, à ne pas paraître dominé et absorbé par Pitt, et qui, sans bien s’en rendre compte, à défaut d’un dissentiment réel, eût volontiers cherché l’occasion de prendre dans le cabinet une autre attitude que son illustre rival.

Cette occasion ne se présenta que trop tôt. Un des principaux membres du ministère, celui peut-être dont le concours était le plus utile à Pitt, lord Melville, fut dénoncé à la chambre des communes comme ayant prévariqué, bien des années auparavant, dans le maniement des fonds affectés à un emploi dont il était alors chargé. Pour des motifs qu’il est inutile d’expliquer ici, les amis de lord Sidmouth crurent devoir appuyer cette dénonciation, et lord Sidmouth exigea que toute liberté leur fût laissée à cet égard, en sorte que le vote qu’ils porteraient contre l’honneur et l’existence politique d’un des ministres ne les constituerait pas en état d’opposition contre le ministère. Pitt, dont les embarras étaient toujours très grands et qui craignait de provoquer la dissolution du conseil, fut contraint de subir cette condition étrange. Par suite d’une aussi inconcevable transaction, la chambre des communes, à la majorité d’une seule voix, prit une résolution qui eut pour conséquence la mise en accusation de lord Melville. Jamais Pitt n’avait essuyé un échec aussi complet et aussi douloureux. On comprend ce qu’il dut éprouver lorsque lord Sidmouth vint réclamer pour ses protégés les places que rendait disponibles, dans la haute administration, la chute de lord Melville. Il se contint cependant ; sans rétracter ses promesses, il demanda du temps pour les accomplir ; il représenta que la dignité même du gouvernement était intéressée à ce qu’il ne parût pas récompenser immédiatement ceux qui venaient de lui porter un coup si cruel. Lord Sidmouth ne voulut rien entendre, craignant que sa considération ne fût compromise, si on différait davantage de lui donner la satisfaction à laquelle il croyait avoir droit, et, après plusieurs semaines d’explications, de tiraillemens, de malentendus, il donna sa démission de la présidence du conseil, qu’il avait occupée six mois seulement. Ses amis le suivirent naturellement dans sa retraite, dont leurs exigences étaient la cause première ou du moins la plus apparente.

Ce qui est singulier, ce qui fait également honneur à Pitt et à lord Sidmouth, c’est qu’une rupture précédée de semblables incidens ne prit pas entre eux, comme leur première séparation, le caractère d’une brouillerie personnelle, c’est qu’ils restèrent l’un à l’égard de l’autre dans des dispositions bienveillantes. Quelque temps après, lord Sidmouth ayant éprouvé un grand malheur de famille, Pitt alla le visiter à la campagne. Leur entrevue fut franchement amicale ; ils causèrent librement de toute chose, même de l’état du pays. Ils comptaient se