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à son nom en guise de sobriquet, et qui devint le texte d’une multitude de chansons, de récits épigrammatiques conservés par les mémoires du temps. Quelque frivole que puisse paraître une semblable polémique, on ne peut nier qu’elle n’ait exercé une influence très réelle et qu’elle n’ait contribué, autant que des attaques plus sérieuses, à affaiblir le ministre qu’elle livrait ainsi aux sarcasmes de tous les esprits superficiels.

Peu à peu, à mesure que s’accroissaient les probabilités d’une rupture avec la France, cette opposition, qui avait toujours blâmé les clauses de la paix d’Amiens, prenait plus de force. L’idée de ramener Pitt au pouvoir faisait des progrès. Pitt lui-même s’y laissa entraîner. J’ai déjà eu l’occasion de montrer ici même[1] comment l’union intime qui avait d’abord existé entre l’ancien et le nouveau ministre se transforma insensiblement en un état d’hostilité déclarée. La Vie de lord Sidmouth contient, à ce sujet, de curieux détails, et l’impression qu’on en garde après les avoir lus, c’est que, dans la position fausse où ces deux hommes se trouvaient placés, il était impossible que ce qui finit par arriver n’arrivât pas en effet. On y voit avec quelle susceptibilité inquiète Pitt, sans cesse excité par des amis passionnés, surveillait les actes et le langage du cabinet, tantôt s’offensant de ce qu’Addington n’avait pas repoussé avec assez de force les attaques dirigées par l’ancienne opposition contre l’administration précédente, tantôt même croyant voir, dans les argumens par lesquels il défendait ses propres actes, un blâme indirect jeté sur la politique de ceux qu’il avait remplacés. Pitt, qui pensait déjà sérieusement à rentrer au ministère, mais qui se sentait gêné et embarrassé dans ce qu’il pourrait tenter à cet effet par la confiance affectueuse qu’Addington continuait à lui témoigner, cherchait, pour rompre ce lien incommode, à s’exagérer des griefs, sinon tout-à-fait imaginaires, au moins bien légers en eux-mêmes, et à les transformer en des torts réels qui pussent justifier une séparation ; mais Addington ne faisait rien pour lui faciliter la rupture : soit calcul, soit naïveté bienveillante, il semblait ne pas s’apercevoir de ce refroidissement, et il persistait à accabler son ancien ami de confidences, de demandes de conseils, de protestations de dévouement et de tendresse.

Ce jeu ou ce malentendu ne pouvait se prolonger indéfiniment. Addington comprit enfin que, pour conserver l’alliance de Pitt, il fallait le rattacher au gouvernement par un lien positif. Croyant s’être assuré de ses dispositions favorables au moyen de quelques paroles assez vagues échangées directement avec lui, il confia à Dundas, récemment élevé à la pairie sous le titre de lord Melville, le soin d’entamer formellement la négociation. Pitt, qui, dans l’état des choses, ne voulait pas prendre part aux discussions parlementaires, s’était retiré à la campagne

  1. Voyez, dans la livraison du 15 juin 1845, l’étude sur le second Pitt.