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fiante. Elle exprime quelque chose, elle a une physionomie, ce qui est déjà un certain genre de beauté.

Si nous plaidons ainsi la cause de l’art, si nous voulons qu’il n’obéisse qu’à ses inspirations, qu’il jouisse de la plus entière liberté, ne croyez pas que ce soit au détriment de notre science favorite. Non, messieurs, l’archéologie du moyen-âge sera d’autant plus prospère, elle obtiendra d’autant plus de respect et de crédit, qu’elle ne se mêlera que de ce qui la regarde. Le plus sage conseil que vous puissiez lui donner, c’est de se renfermer dans son domaine, c’est-à-dire dans le champ du passé. Autorisez-la tout au plus à nous prêter son assistance pour la restauration des anciens monumens, et ne la laissez jamais en construire de nouveaux. Que par exception, dans de rares circonstances, elle se fasse comme un jeu d’esprit de présider à la construction de quelque oratoire, de quelque chapelle, et, par exemple, qu’elle exhume de la poudre du XIIIe siècle un plan pour cette église de pèlerinage, cette Notre-Dame-de-Bon-Secours, dont le curé, quêteur intrépide, s’acquitte de son apostolat comme s’il était lui-même du siècle de saint Louis, c’est là une sorte de miracle qui ne saurait tirer à conséquence ; mais que ces exceptions ne fassent pas coutume : qu’elle reste archéologie, c’est-à-dire étrangère au monde d’aujourd’hui. Et si dans quelques-unes de nos villes nous devons voir s’édifier à grands frais de soi-disant copies de chefs-d’œuvre inimitables, qu’il soit bien constaté que l’archéologie du moyen-âge, telle que vous l’avez conçue, telle que vous la maintenez, n’a pris aucune part à cette profanation, et qu’elle n’en est pas plus responsable que des vieux meubles de moderne fabrique et des armures de carton qu’on passe au compte du moyen-âge dans les boutiques de nos brocanteurs.

Je m’arrête, messieurs ; si je me laissais aller à ces idées et à tous les développemens qu’elles comportent, j’abuserais trop long-temps de votre indulgente attention. Laissez-moi seulement vous remercier encore, non plus au nom de nos confrères en archéologie pour les services que nous avons reçus de vous, mais en mon propre nom pour l’insigne honneur que vous m’avez fait. En m’appelant cette année à diriger vos travaux, vous m’avez accordé un droit dont je viens d’user avec toute franchise. J’ai cru ne pouvoir mieux vous exprimer ma reconnaissance qu’en pensant tout haut avec vous. Puissent les idées que je vous ai soumises avoir obtenu votre sympathie ! puissent-elles éveiller votre sollicitude ! Je n’aurai pleine confiance au succès de notre cause que lorsqu’il me sera garanti par la sanction de votre exemple et par l’autorité de vos paroles.




V. de Mars.