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qui ont présidé à leur construction, il risque en les restaurant de les déshonorer, trop souvent même de les détruire. Grace à vos leçons, grace à ces premiers élémens de la science archéologique que vous avez rendus populaires, nous n’aurons plus de telles chances à courir. Un certain nombre de jeunes artistes se sont approprié, sous vos auspices, les secrets du passé ; ils ont exercé non-seulement leurs yeux à bien copier ce qui subsiste, mais leur intelligence à deviner ce qui est détruit, et désormais nous pouvons leur confier sans crainte, ils peuvent entreprendre sans témérité, une tâche naguère impossible.

À côté de cet avantage laissez-moi vous signaler un danger. L’étude approfondie de notre architecture du moyen-âge, la connaissance de plus en plus intime de ses beautés, semblent nous exposer à une triste tentation. Ne nous parle-t-on pas de ressusciter cette architecture, c’est-à-dire de la prendre servilement pour modèle, non-seulement quand il s’agit d’effacer les ravages du temps dans les œuvres qu’elle a créées, mais quand il faut construire à neuf pour nos propres besoins, pour nos propres usages ? Je sais que de brillans esprits, loin de s’alarmer à cette idée, l’encouragent et la favorisent. Ils font, selon moi, bien bon marché du temps où nous vivons, et lui refusent bien durement cette faculté d’invention, cet esprit créateur dont aucun siècle ne fut complètement déshérité. Sans doute, à l’âge où sont parvenues nos sociétés modernes, avec nos habitudes d’analyse et de réflexion, au milieu de cette atmosphère de doute et d’égoïsme qui nous enveloppe, nous pourrions difficilement prétendre à créer un de ces types entièrement nouveaux qui n’apparaissent qu’aux époques où la foi est vive, ardente, généreuse ; mais faut-il pour cela nous résigner dès l’abord à copier platement ce que d’autres ont inventé ? L’imitation dans les œuvres de l’art sera toujours, quelque intelligente qu’on la suppose, un des plus pauvres emplois de la pensée humaine. Jamais, dans ce monde, l’art ne s’est produit deux fois sous la même forme, ou bien la seconde fois ce n’était que du métier. Pourquoi, je vous le demande, cette architecture qui régnait encore il y a vingt ans, et qui nous fatiguait de ses banales colonnes, de ses frontons inanimés, de ses monotones rosaces, pourquoi nous inspirait-elle un si grand éloignement ? Était-ce parce qu’elle avait mal choisi ses modèles ? Mais les monumens qu’elle s’imaginait reproduire sont la gloire de l’esprit humain ; ce sont des types d’éternelle beauté ; on se prosterne à leur aspect. Qu’est-ce donc qui nous révoltait ? C’était l’imitation. Il en sera de même, quel que soit l’objet imité. Copiez le Parthénon, copiez la cathédrale de Reims, vous subirez la même influence : les modèles resteront sublimes, les contrefaçons feront pitié.

Honneur donc à ceux qui, même aujourd’hui, ne désespéreront pas d’inventer une architecture nouvelle, c’est-à-dire une combinaison de lignes et un système d’ornementation qui n’appartiennent qu’à notre époque et qui en perpétuent le souvenir ! Qu’ils ne s’inspirent ni des formes antiques ni des formes du moyen-âge ; qu’ils se pénètrent seulement de la pensée-mère qui les engendra, pensée d’artiste et non d’archéologue. Surtout qu’ils se préparent à tenir grand compte de toutes les exigences de notre civilisation, de nos idées, de nos habitudes. C’est en leur obéissant, c’est en cherchant à les comprendre et à les satisfaire, qu’ils auront chance de découvrir quelque chose d’original. Une architecture qui sait s’accommoder aux besoins de son temps n’est jamais ni banale ni insigni-