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pas prêter plus d’attention qu’on ne doit aux puérilités grotesques, aux intermèdes bouffons qui traversent la pièce et scandalisent si fort notre délicatesse. Ces grossièretés se rencontrent justement dans le drame électoral comme dans le drame de Shakespeare. L’œuvre n’en est que plus vivante : ce sont les scories du métal en fusion. N’est-ce pas ainsi un cruel usage, une rude moquerie de la multitude, que de rappeler sur les hustings, après la bataille finie, tous les candidats qui l’ont livrée, les vaincus comme les victorieux, et de ne pas même laisser à la défaite la consolation du silence ? Voyez cependant avec quelle fierté M. Macaulay, M. Hawes, M. Roebuck, relèvent ce gant qu’on leur jette ; ils recommencent le débat comme s’il n’avait pas tourné contre eux, et soutiennent leur drapeau d’une mine d’autant plus haute que l’effort est plus désintéressé. Qu’on lise ces vertes paroles de M. Roebuck au moment où il écrase ses anciens commettans de ses adieux et de son mépris. « Je vous dis adieu, je ne reparaîtrai plus ici ; mais vous n’aurez plus de représentans libéraux, car mon honorable et noble ami lord Duncan est trop honnête pour vous représenter pendant long-temps. D’autres collèges demanderont, chercheront un représentant tel que je l’ai été, et quant à ceux qui, après quinze ans de services, m’ont rejeté de leurs cœurs, que la honte et le scandale en retombent sur eux ! » Le peuple à qui l’on adresse une si ferme leçon est certainement capable de la recevoir. Enfin ce sont toujours de grandes mœurs politiques que celles d’un pays où les chefs de l’état font aux plus simples de leurs concitoyens ces allocutions à la fois si familières et si sensées de sir Robert Peel à Tamworth et de lord Palmerston à Tiverton. Il faudrait traduire d’un bout à l’autre ces curieuses harangues pour bien comprendre comment on réussit en Angleterre à faire pénétrer dans la masse du corps électoral une si vive notion des choses publiques.

Il y a donc au fond de tout cela, d’après l’impression même que nous donne cette vaste scène ouverte, il y a contradiction singulière. D’une part, voici de l’animation, du mouvement, un intérêt général et réel qui s’attache à l’acte décisif d’où sortiront les prochaines destinées du pays. Qu’on se rappelle seulement la réprobation virulente lancée contre M. Harvey par les électeurs libéraux de Marylebone pour avoir trahi leur zèle ! Et d’un autre côté néanmoins nous n’avons plus aperçu de partis organisés qui pussent servir de foyers à toute cette passion. Où donc se prend-elle et de quoi vit-elle ? Nous ne craignons pas de le dire, c’est là qu’est le nœud de la situation présente du gouvernement et du peuple anglais. S’il n’y a plus les partis d’autrefois, qui ralliaient autour d’eux des masses si compactes, avec des couleurs si tranchées et des cris si clairs, il y a comme un grand courant d’opinion qui emporte les individus un à un, sans distinction de rang, d’origine et de credo, qui les enveloppe et les pousse pêle-mêle, les plus éminens comme les plus obscurs, vers une fin nouvelle, vers une immense transformation. Ceux-ci se raidissent pour ne point être précipités, ceux-là précipiteraient tout, d’autres essaient de se rejeter au dehors pour faire face au torrent ; mais ce ne sont pas là des partis, ce sont les accidens qui traversent l’histoire d’une force en progrès, car le courant dont nous parlons, c’est la force vivante et croissante des principes modernes qui président maintenant au travail intérieur des sociétés. Nous l’oublions toujours trop en France ; la révolution de 1688 n’a pas été celle de 1789 ; celle-là commence à