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narquois allié au goût des jouissances positives, tel qu’il se conserve et se perpétue dans certaines provinces, de cet esprit picard et champenois qui s’unit ici sans trop de disparate à l’esprit précieux et aux graces un peu maniérées. Le trouvé dans le détail rachète plutôt qu’il ne couvre ce qu’il y a de hasardé et, on ne peut le dissimuler, de vulgaire dans le fond. Ce fond semble surtout être l’ingénieux commentaire d’une chanson dont, à l’occasion des Rimes galantes, il nous sera bien permis de citer du moins les premiers mots du Allons, Babet, de Béranger. J’aime mieux pour ma part, au point de vue de la réalité et comme tableaux de genre, ces petites pièces d’un goût un peu vieillot, marquées au coin de cette facilité de mœurs qui semble devenir innocente à force d’être naïve, et, de cette philosophique insouciance, double trait qui, dit-on, caractérisait nos aïeux, que ces autres pièces plus pimpantes où l’auteur prend le ton petit-maître. J’aime mieux sa muse habillée en suivante qu’en princesse d’opéra. Quant au rhythme, il ne ressemble à rien de connu : les grands, les moyens et les petits vers s’y entrelacent de la plus singulière façon, de manière à produire une espèce de balancement imitant assez bien les poses légèrement chancelantes et les discours, qui tantôt se précipitent et tantôt se ralentissent, d’une demi-ivresse doucement égayée. La muse de M. Coran ne délire pas, mais elle cause, elle cause longuement autour de la table, elle coupe ses récits par des réflexions et elle les reprend, elle est vantarde, expansive à l’excès, portée au détail, se laissant volontiers soutirer tous ses secrets après quelques façons qui sont des avances, et avec quelques réticences qui ont soin d’être des indiscrétions. Le grand écueil d’un tel genre, on le sent, c’est la monotonie. M. Coran est loin d’y échapper. On n’est pas aimable un volume de suite impunément, et une galanterie sans intermède et sans relâche, une galanterie in-octavo, est une entreprise qui vaut les travaux d’Hercule. Ce souffle un peu sec, qui, dans les Rimes galantes, ne cesse de nous apporter je ne sais quelle odeur de musc et de patchouly, arrive à impatienter notre odorat, à fatiguer nos poitrines. Nous avons besoin d’un peu d’air pur qui nous rafraîchisse, d’un peu de tristesse qui nous console. M. Coran nous montre tant de contentement, qu’à la fin, vraiment, on n’en peut plus. Il nous semble pourtant que la poésie du plaisir n’exclut nullement, çà et là, une mélancolie voilée, passagère, une larme même, une larme furtive qui naît et s’efface entre un sourire et un baiser ; l’éclair de l’idéal ne peut-il briller une seconde à travers l’enivrement du festin ? Il y a quelque chose qui ne rend pas seulement la volupté plus douce, mais qui la rend plus poétique : c’est le nuage léger qui passe sur son front, c’est l’avertissement qui ajoute à son piquant et à sa grace, c’est surtout l’idée qu’elle n’a qu’un jour : moriture Lolli. Heu ! breves rosœ. L’œil toujours sec, rame éternellement satisfaite de ses joies uniformes, en ce sens plus naïvement païenne que celle d’Horace, la muse de M. Coran a souvent une certaine originalité d’allure, un certain imprévu spirituel ; elle n’a jamais la passion, même par intervalle.

Formant un frappant contraste avec la plupart de ces poètes, bardes sourians de la tristesse ou amans trop sages ou trop peu sincères de la fantaisie, aussi bien qu’avec ce mélange de grivois vieilli et de raffinement contemporain qui distingue les Rimes galantes, M. Laurent-Pichat est socialiste, humanitaire, républicain, encyclopédiste, rêveur, sceptique, et, par-dessus tout, romantique