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La muse que je prends pour guide
N’a rien de viril en ses traits ;
Son doux sentier n’est pas aride,
Mais le laurier n’y croit jamais.


Cependant, si elle n’a point oublié qu’elle est femme, on peut lui reprocher de ne pas s’en être assez complètement souvenue. Il y a deux mots que le genre humain commente depuis six mille ans, et qui jadis faisaient le fonds de toute poésie digne de ce nom : l’un dit amour, l’autre souffrance. On rencontre souvent ces mots, le premier surtout, dans la jeune école poétique ; quant aux sentimens qu’ils représentent, il en est à peine trace. Il était digne de Mme Damaris-Laurent, que le bel esprit ne glace pas, que la préoccupation systématique trouble fort peu, de les exprimer dans leur réalité vivante, comme il est donné aux femmes de les ressentir et de les rendre. On regrette de la voir si rarement et si timidement poser le pied dans cette poésie un peu plus riche pourtant que le langage des fleurs. Elle se contente trop facilement de la superficie du sujet poésie douce, du bout des lèvres, du bout de la plume, témoignage gracieux d’une ame délicate plutôt que vive, d’un esprit qui parait plus propre à sentir le beau qu’à l’exprimer, une de ces plantes élégantes et frêles que le soleil tue, une de ces fleurs dont le parfum suffit à embaumer une chambre close, mais se dissipe dès qu’on laisse pénétrer le grand air.

Bien que plus vive d’allure, la poésie de M. Alfred Asseline ne brille guère que de la douteuse clarté des lucioles. Si l’on se décide à suivre cette lueur errante et capricieuse, on entrevoit en courant des arbres où se jouent les étoiles, des fleuves qui reflètent ces étoiles et ces arbres, des salons dorés, des ombres qui dansent, des cavaliers à la mine fière, et surtout force grandes dames. Malheureusement, dans cette course au clocher, les objets ne laissent pas plus de trace sur l’esprit que n’en laisse sur les flots l’aile de l’oiseau dans son vol. L’auteur de Pâques-fleuries échappe à l’analyse. Ce n’est pas que je prétende appliquer à la poésie, essence légère, la méthode quelque peu compassée à laquelle Voltaire soumet les vers, et la réduire à la pure raison aussi arbitrairement qu’il met ceux-ci en prose. Bien loin de là, la fantaisie, connue même chez les anciens, quoiqu’elle soit loin d’être chez eux ce qu’elle est devenue chez les modernes, n’a pas attendu la permission de la critique pour prendre dans l’art sa légitime place ; mais la fantaisie a ses conditions propres et rigoureuses. Et d’abord de toutes les facultés poétiques elle est celle qui souffre le moins la médiocrité : rareté du plus haut prix qui unit ce qu’un nature d’élite a de plus charmant à ce que l’art a de plus fin, ou pur jeu d’esprit qui, eût-il assez de ressources pour amuser un moment, tombe vite par le faible ou le faux qui s’y mêlent. Le poète n’a pas à craindre de se livrer à la passion, car la passion n’est pas tenue d’être neuve, il suffit qu’elle soit vraie, et sa nouveauté même n’est guère qu’un degré de vérité plus profond ; il n’en est pas de même de la fantaisie ; à prodigieusement d’esprit et de goût, il faut encore qu’elle unisse des ressources infinies et une nouveauté pour ainsi dire toujours rajeunie. Joignez à ces conditions déjà si difficiles me précision suprême dans l’expression en raison même de ce qu’il y a de singulier et d’insaisissable dans la pensée. Est-il besoin d’ajoute ; que la fantaisie doit se tenir éloignée de toute