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au dernier siècle ; s’il ne s’est pas produit de nos jours plus de vers lisibles, agréables, revêtus d’une expression élégante, suffisante du moins, notre langage pourrait bien changer, et cette foule de poètes, emportés chaque année par le flot de l’oubli, opposerait, je le crois, une couronne et plus épaisse et de meilleur choix à celle des poètes secondaires du XVIIIe siècle. On n’a nulle peine à admettre que la postérité de Lamartine et de Victor Hugo ait peu à faire pour être supérieure à celle de Dorat et de Saint-Lambert. Mais ce qu’on ne saurait nier, c’est que ces vers agréables composent, en fin de compte, des pièces généralement assez faibles, ces pièces faibles de médiocres recueils, et ces recueils une assez pauvre poésie. C’est dans le même sens et dans cette mesure seulement qu’on a dit, ou du moins qu’on a pu dire, que le talent n’a jamais été si commun que de nos jours. Un certain ensemble de mérites moyens, la combinaison plus ou moins ingénieuse d’élémens d’emprunt, un progrès véritable dans les qualités de procédé et pour ainsi dire de cabinet, enfin l’expression élégamment incertaine d’idées insuffisantes et de sentimens sans profondeur, voilà le talent que montre un assez grand nombre de nos jeunes poètes. Chacun, pris à part, peut quelquefois paraître valoir mieux que la masse et ne pas mériter tout le mal qu’on a raison de dire de l’école. Des traits même réguliers peuvent former un visage sans caractère. Quoi qu’il en soit, insignifiance chez la plupart, insuffisance chez les mieux doués, presque toujours attribuable aux causes que nous avons essayé d’indiquer, voilà, en résumé, le principal reproche que nous paraît mériter la jeune école. Sans nous occuper des nombreuses productions marquées du cachet de l’insignifiance, nous prendrons, parmi les derniers volumes de poésies, ceux qui donnent des nouvelles tendances poétiques l’idée la plus précise et aussi la plus complète. Plus notre conclusion doit être sévère, plus nous devons apporter de soin dans le choix des pièces destinées à la motiver.

Bien que composé de quatre recueils publiés à des époques bien différentes, le volume de M. N. Martin porte dans toutes ses parties l’empreinte de la situation que nous venons de caractériser. M. N. Martin se recommande par un sentiment vrai, par une forme d’une élégance simple et naturelle. L’inspiration des Harmonies de la Famille, d’Ariel, de Louise et des Cordes graves, n’est pas une feinte, et l’analogie qu’elle présente à quelques égards avec les poètes allemands paraît chez l’auteur plutôt conformité d’imagination que parti pris systématique, engouement ou calcul. En dépit des préventions que serait bien faite pour inspirer aux lecteurs délicats la préface des éditeurs, manière de pétition adressée à l’opinion publique et revêtue de l’apostille des personnages les plus en crédit auprès d’elle, l’auteur peut être considéré comme un des représentans les moins infatués des défauts de la jeune poésie. Si le cercle de ses inspirations est assez restreint, du moins y reconnaît-on presque toujours l’accent naïf d’une ame douce et recueillie. M. Martin donne quelque part, pour symbole à sa poésie, une fleur de mai, et ce symbole est exact. C’est au mois de mai qu’elle semble emprunter sa couronne de tendre verdure et ses doux rayons ; c’est le mois de mai qui sert de thème à ses motifs les plus aimables, à ses caprices les plus heureux. L’hirondelle, la brise, un coin du ciel entrevu seulement, parfois l’ombre d’une femme elle-même entrevue à peine et gardant