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ils se défendent avec le plus d’ardeur, c’est-à-dire classiques par l’absence d’invention et de spontanéité, compromis énervés, où une imitation timorée, cauteleuse, sournoise, pour ainsi dire, qui fuit l’excès et met autant de soin à atténuer les couleurs qu’elle en mettait naguère à les charger, cherche à jouer et joue mal l’originalité absente, où le bon sens semble rougir de lui-même et se cache sous les dehors de la fantaisie, où enfin l’imagination, toute folle du logis qu’elle passe pour être, se comporte trop sagement pour saisir vivement dans son désordre volontaire. C’est au fond sans doute bien moins à la critique qu’à la médiocrité, toujours la même sous les changemens de formes qu’elle affecte, qu’il convient de faire le procès ; mais c’est bien la critique qui, à force de s’élever contre l’exagération et le bizarre, a contribué à mettre cette médiocrité en toute sa lumière. Le ballon ne cessait de se gonfler sous le souffle des imitateurs, elle l’a aplati à force de coups d’épingle. L’exagération s’est évanouie, le bizarre a disparu, et il est resté bien souvent des lieux communs dont plusieurs rappellent les vers d’almanach et les devises des boîtes de bonbons. Sommes-nous plus avancés ?

C’est ainsi que la poésie, après avoir gravi tous les degrés du gigantesque, semble menacée (sauf de rares exceptions qui elles-mêmes se sont formées pour la plupart, comme M. Brizeux et M. de Laprade, loin des influences de la capitale et dans un milieu tout-à-fait à part) de tomber dans l’abîme du genre ennuyeux. Sa plaie est beaucoup moins le désordonné, comme naguère, que le régulier insignifiant et prétentieux, adversaire difficile à vaincre et surtout à convaincre, parce qu’avec beaucoup d’orgueil il a peu d’ame et que ses défauts tiennent plus de la faiblesse que de l’excès. C’est sur cet ennemi que la critique doit faire porter ses principaux coups ; et puisque le ridicule lui-même, ce sot voisin du sublime, a fait place, si l’on met de côté quelques exceptions trop solidement établies pour laisser de si tôt périmer leurs droits, à je ne sais quoi d’attiédi et d’énervant, qui a perdu jusqu’à l’attrait de la singularité, c’est à elle de revendiquer les droits de l’inspiration et de l’audace, après avoir soutenu ceux de l’ordre et du sens commun. Elle aura moins aussi, en général, à attaquer l’immoralité que la fadeur. A cet affaiblissement graduel correspond en effet, chez plusieurs, comme un retour vers les sages réflexions, vers les bonnes maximes de vivre, ainsi qu’il arrive à ceux qui meurent. C’est La Fontaine qui brûle ses contes et qui n’écrit plus rien qui vaille. Florian peut sourire aux essais de plus d’un jeune poète. Il est vrai qu’en se jetant, à l’instar de ce patriarche de la littérature innocente, dans une sentimentalité non moins insipide qu’honnête, ils n’en rient pas moins de ce pauvre Florian, comme dès long-temps ils font des descriptions à la façon de Delille en se moquant de Delille, de l’imitation comme Campistron et Luce de Lancival en se moquant de Luce de Lancival et de Campistron, et du bon sens assez déguisé, il est vrai, en criant haro à M. Ponsard.

Nous savons qu’à parler ainsi on risque d’encourir, aux yeux de bien des esprits bienveillans, le reproche d’un pessimisme littéraire trop ouvert aux défauts et trop indifférent aux mérites clés œuvres contemporaines. Un tel reproche pourtant serait peu fondé. Nous le proclamons volontiers : s’il s’agissait non plus d’embrasser d’ensemble, mais de juger en détail l’état de la poésie, et de savoir, par exemple, si le niveau moyen n’est pas comparativement plus élevé qu’il ne l’était