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de Mohilew, de Karkow, de Kiew, de Podolie et de Kerson. Ils se trouvent ainsi à proximité de la Pologne, de l’Autriche et de la Turquie. Il est notoire que la question de lieu a été l’objet des réflexions les plus sérieuses, et que le choix auquel on s’est arrêté a été dicté par la considération des craintes ou des espérances de la Russie de ce côté de l’Europe. L’empire est immense ; les recrues levées dans l’est n’arrivent que lentement, difficilement, sur la frontière de l’ouest et du sud, où doit être concentrée toute l’action du pouvoir. Qu’une grande occasion d’attaquer ou de se défendre se fût présentée, on risquait d’être pris au dépourvu sur ce point. En plaçant là ses colonies, le gouvernement voulait prévenir ce danger ; il voulait de longue main s’assurer une grande force dont il pût disposer rapidement pour toutes les éventualités.

Dans cette fondation nouvelle, on a laissé aux anciennes colonies du Caucase leur première destination, qui est la garde de la frontière ; on leur a aussi conservé leur administration spéciale. Elles se composent de tribus belliqueuses qui ont été soumises purement et simplement au service militaire et qui s’en accommodent, ne pouvant rien de mieux. On a dû suivre une méthode différente pour les colonies proprement dites. Voici comment on a procédé : l’on a eu recours à la combinaison de deux élémens parfaitement distincts ; une population a été superposée à une autre ; des soldats tirés de l’armée régulière ont été introduits dans des familles agricoles ; les paysans de la couronne, qui étaient assurément les moins misérables de l’empire, ont été exemptés de l’impôt qu’ils devaient à l’état, et, en revanche, ils ont reçu dans leurs foyers à perpétuité un certain nombre de régimens.

Les principes de la propriété féodale, en ce qu’ils ont par exception de bienfaisant, ont été respectés. Tout colon possède, et cela héréditairement. La terre est divisée par portions égales, qui pourtant se subdivisent, et la capacité d’exploiter est pour chacun la mesure de son droit. Si un paysan n’a point le bétail ni les instrumens nécessaires aux travaux d’une ferme complète, il s’unit avec un ou plusieurs autres, et individuellement ces hommes rassemblés pour l’exploitation d’une ferme entière forment une moitié ou un quart de paysan. Ils supportent en commun les charges publiques. Si, au contraire, un paysan dispose de plus de moyens de culture que n’en exige une ferme complète, il en peut obtenir une seconde, sans que ses obligations soient augmentées. La ferme comprend d’ordinaire soixante décétinnes ; dans les régimens d’infanterie et quatre-vingt-dix dans ceux de cavalerie. Il faut y joindre la jouissance des prairies et des pâturages qui appartiennent à la communauté.

Le colon et le soldat sont ici deux personnages que l’on ne doit point confondre : le soldat sert en service actif et donne le surplus de son temps à la ferme où il est établi ; le colon entretient le soldat, moins l’équipement et la solde, qui restent à la charge du trésor. Il n’existe point d’impôt, mais les redevances sont considérables : il y a d’abord la réparation et la construction des routes, des ponts, des églises, des écoles, de tous les édifices publics ; il y a aussi la main-d’œuvre pour les terres que la couronne s’est réservées dans chaque colonie, et qui égalent en étendue tout le territoire colonisé. Cette dernière obligation à elle seule représente deux jours de travail par semaine.

En fondant les colonies militaires, le gouvernement russe, on doit le reconnaître, a fait en grande partie les frais de premier établissement ; il est venu en