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s’adressaient d’ailleurs à des populations qui, soumises à un régime exceptionnel assez rigoureux, ont néanmoins conservé ou acquis toutes les habitudes de liberté par lesquelles les paysans de la Hongrie se distinguent eux-mêmes des paysans des provinces non constitutionnelles de l’Autriche. Si restreints que puissent être les droits dont jouissent ces colons, si peu qu’ils les aiment, ils les connaissent et ils se plaisent à en parler. Deux nobles hongrois n’entrent point en conversation sans qu’il ne s’y mêle promptement quelque question de politique ou de procès plaidé, en litige ou prévu. Les classes agricoles ont pris leur part de cette humeur processive, et, toute proportion gardée, le même goût du droit. Ainsi en est-il également dans les colonies militaires : leur législation a été traduite dans leurs idiomes nationaux, et tout chef de maison sait au plus juste ses devoirs, ses obligations, ses privilèges. Si l’arbitraire pouvait s’introduire dans l’administration, chacun serait en mesure de protester le code en main.

Les agitateurs politiques étaient donc sûrs de se faire écouter des colonies quand ils viendraient les entretenir de questions de races et de droit municipal. Nationalité, légalité, tout cela les intéresse fort. Les officiers, qui sont en très grand nombre de la race des colons, ne manquent point à cet égard de complaisance ; ils sont eux-mêmes associés à toutes les espérances d’avenir qui germent sur chaque point du sol hongrois. Ils reçoivent et lisent les journaux illyriens ou magyars d’Agram ou de Pesth, la Gazette transylvaine de Cronstadt, organe de l’intérêt roumain, et la même liberté de parole qui étonne partout le voyageur en Hongrie règne aussi parmi eux. Qu’est-ce à dire, et que doit-il sortir de là ? Les événemens seuls pourront nous l’apprendre ; mais il est certain, dès ce moment, que les colonies militaires de l’Autriche tendent à se poser comme les gardes nationales de l’illyrisme, du magyarisme et du roumanisme. Il s’entend de soi que dans cette marche elles ne font point corps toutes ensembles et qu’elles ne sont pas plus unies entre elles que les trois peuples du sein desquels elles sont issues. Les régimens illyriens ou roumains, loin d’avoir aucun penchant pour les régimens magyars, nourrissent contre eux les passions de leur race qu’ils ont épousées par instinct et par situation. La communauté très évidente des intérêts conduira sans doute les Illyriens à s’entendre avec les Roumains pour paralyser les prétentions du magyarisme ; mais l’inexpérience de ceux-ci, leur timidité, leurs incertitudes, ne permettent point encore de compter sur une pareille alliance. Peut-être aussi, les Magyars revenant un jour à des pratiques plus conciliantes, les haines disparaîtront-elles avec les causes qui les ont provoquées ; mais ce jour n’est point venu, et il y a ainsi pour quelque temps encore, dans les régimens de la frontière, trois races, trois pensées, trois tendances très divergentes, nous allions dire trois drapeaux[1].


III.

Les établissemens coloniaux de la Russie sont situés, du nord au sud, sous le méridien de Saint-Pétersbourg, dans les gouvernemens de Novogorod, de Witebsk,

  1. Nous ne parlons que pour mémoire des Allemands, qui comptent à peine trente mille ames dans la population des colonies.