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Enfin, pour les questions de propriété, les populations relèvent des juridictions ordinaires du pays, tandis que les frontières croates et hongroises sont placées, même pour leurs intérêts sociaux les plus minimes, sous la juridiction de l’autorité militaire. C’est ainsi que la colonie transylvaine conserve encore l’empreinte des origines confuses d’où elle est sortie. A part ces différences de détail, toutes les colonies se ressemblent par le principe et par le but de l’institution même.

Les effets de cette législation sont généralement salutaires et progressifs. Le bien-être est plus grand dans les colonies militaires que tout à côté, en Hongrie. Là, point de mendicité ni de vagabondage. Les maisons sont bâties proprement, bien éclairées, quelquefois meublées avec recherche. Les vergers, les vignobles, toute la campagne annonce une culture avancée. Les routes sont en beaucoup d’endroits aussi bien tenues que les plus belles routes de l’archiduché de la Styrie et du Tyrol, et l’on sait que celles-ci peuvent être comparées sans désavantage aux meilleures et aux plus hardies en Europe. On remarque à chaque pas cette condition satisfaisante des colonies militaires, lorsque, venant du cœur de la Hongrie, on traverse Peterwardein pour arriver par Carlowitz et Semlin à Belgrade. À la vue de ces villages disposés avec plus de régularité, de ces campagnes peuplées de paysans mieux vêtus et plus heureux, de ces routes savamment construites, on se croirait revenu en pleine civilisation. Si pourtant, au lieu de franchir le Danube à Semlin, on suit la rive gauche du fleuve le long du banat et de la Transylvanie méridionale jusqu’aux, limites de la Moldo-Valachie, on verra que tous les régimens ne sont point dans une situation aussi prospère que ceux de la Sirmie. La grande servitude et l’effroyable misère qui pèsent sur la race roumaine de la Transylvanie étendent leur influence sur les régimens roumains et même sur les régimens szeklers, placés moins bas que ceux-ci parmi les classes agricoles de la principauté.

La révolution sociale qui s’accomplit en ce moment en Autriche donnera une nouvelle impulsion à la richesse des colonies. Quant à la condition morale de ces établissemens, elle entre aujourd’hui dans une phase imprévue et digne de la plus sérieuse attention. Le lien des races, de la langue et de la religion unit étroitement la population des colonies militaires aux populations de la Croatie, de la Hongrie et de la Transylvanie. Le voisinage ou même le contact de tous les jours, fort souvent la parenté, entretiennent ces précieux rapports. La diversité des législations n’y peut nuire en rien. Or, les idées de nationalité qui agitent aujourd’hui les trois grandes races illyrienne, magyare, roumaine, sont venues imprimer à ces sentimens une direction systématique. Le mouvement politique a pénétré jusqu’au sein des colonies militaires. Les chefs des partis et tous ceux qui ont souci de la chose publique ont promptement compris quel fort appui ils pourraient trouver là ; écrivains ou hommes d’action, ils n’ont point épargné les caresses à ces mâles populations qui ont fait dans les dernières guerres de l’Europe l’honneur des Illyriens, des Roumains et des Magyars. Les Illyriens comptent pour 800,000 ames environ sur les 1,200,000 qui forment toutes les colonies. Les Roumains y figurent pour plus de 200,000. Les Magyars sont moins nombreux ; le chiffre de leurs colons ne dépasse guère 100,000. Les trois races, qui constituent aussi trois partis très distincts, ont rivalisé d’ardeur, dans le débat des questions politiques, pour attacher respectivement à leur cause les régimens qui les représentent, et le succès a répondu à leurs efforts. Elles